Si un extralucide avait, à son arrivée à Genève, prédit au docteur
Mino que, vingt ans plus tard, elle prescrirait de l'héroïne à ses malades toxicomanes, elle aurait sans doute haussé des épaules, méprisante. Peut-être, parce qu'Annie Mino a toujours été curieuse, aurait-elle poussé la discussion un peu plus loin. C'est tout le paradoxe de ce médecin d'une extrême rigueur: en être arrivée, après une formation des plus académiques, à mettre en place à Genève un des rares essais de «prescription médicale de stupéfiants». C'est cet itinéraire, surprenant mais finalement très logique, qu'elle raconte aujourd'hui dans un livre sincère et poignant, J'accuse les mensonges qui tuent les drogués (1). On y croise Adelita, Chloé, Franck et tous ces toxicomanes qu'Annie Mino a décidé de ne plus laisser au bord de la route.
Comment un psychiatre classique, entiché de psychothérapie institutionnelle, croyant plus à la psychanalyse qu'aux médicaments, en vient-il à prôner pour les toxicomanes tout l'arsenal des produits de substitution? Comment franchir ce fossé qui conduit de l'écoute et de la parole toute puissante, si à la mode dans les années 70, à accepter de traiter les héroïnomanes avec leur produit préféré?
Lorsque Annie Mino arrive à Genève, en 1975, elle aime tout de suite la paix de cette ville qui conserve les traces du siècle des lumières. «Il y règne une compréhension incroyable car les Suisses n'ont aucun tabou avec la drogue.» Elle s'occupe d'alcooliques, puis d'adolescents