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Bologne, une atmosphère de privilèges.

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La ville italienne regorge de palais et de monastères; d'arcades et de jardins; d'intellectuels et de bourgeois ... Et refuse de devenir musée.
publié le 15 juin 1996 à 6h49
Vous venez de passer devant un petit palazzo de la via Castiglione, à peu de distance des tours Asinelli et Garisenda dominant la ville. Vous ne vous êtes pas arrêté. Vous n'avez rien vu de notable. Les guides non plus et ils n'ont pas tort. Il y a surabondance de palais à Bologne. Et surabondance d'églises. Et de monastères. Et de portiques. Et d'arcades. Quarante kilomètres d'arcades aux couleurs de la ville qui n'est pas uniformément rouge comme le laisse entendre sa première étiquette politico-picturale, «Bologna la rossa», mais ocre, rouge vermillon, brun clair, jaune pastel et d'autres teintes encore selon l'inclinaison du soleil au fil des heures. Quarante kilomètres, c'est le chiffre officiel, celui des guides cette fois. Record mondial.

Vos muscles douloureux à force d'errer sous leurs voûtes très élevées ou très basses, dénudées ou couvertes de fresques, vous en ont fait compter dix ou vingt fois plus. Ce petit palazzo n'est donc rien. Juste le siège d'une administration locale consacrée à la santé des Bolognais que met quelquefois à mal un autre excès, celui du «cibo», de la bonne bouffe dont la ville tire sa seconde qualité légendaire, «Bologna la grassa», grasse des amoncellements de nourriture, dont la seule vision et le parfum dans les vitrines de la via Clavature ou des Vecchie Pescherie vous font prendre des kilos, grasse des salamis et porchetta géantes, des plats cuisinés saupoudrés de tartuffo (la divine truffe noire ou blanche), des cuvettes en fer remplies de «ragu» bien juteux et des alignements des milles pâtes inventées un jour pour ne pas avoir à s'ennuyer le reste de l'année, les tagliatelle, gramigna, tortellini (fourrés à la viande), tortelloni (fourrés à la ricotta), gargenelli, etc.

Dans le petit palazzo, des fonctionnaires font donc le bilan de ce que coûte un art de vivre. Certains ont la vue sur le jardin intérieur que l'on devine à travers d'immenses portes vitrées. C'est Bologne, ce pourrait être Grenade: il y a une fontaine, des plantes grasses envahissantes et hautes. Ce n'est rien. Partout, poussez les lourdes portes des maisons du XIIIe médiéval ou des palais du seicento baroque: les jardins sont minuscules ou luxuriants mais omniprésents. Les Bolognais conçoivent mal d'autres