Autant le dire, c'est avec une attention non dénuée de
circonspection qu'on attendait le défilé de John Galliano, sachant que son nom surgit dans les conversations périphériques de la tribu chiffon environ tous les trois mots. L'héritier putatif de Christian Dior a, une fois encore, su conserver sa place d'outcast de génie: de tout ce cirque qu'on fait autour de lui, il a fait une collection. A deux pas du néant laissé par le viaduc de Tolbiac démonté, le Barnum de la couture ressuscitait Belita, la Gitane de Léo Malet qui vient mourir dans le brouillard, au bout de la rue Ulysse-Trélat, elle aussi assassinée par la ZAC Rive gauche. La présence chaleureuse du cirque Romanès donnait le la esthétique de l'événement: c'est aux sources de la MittelEuropa, ce nomade's land conjuguant toutes sortes d'influences, que John Galliano est venu puiser son inspiration. Ce carrefour du métissage qui avait naguère inspiré à Jean-Paul Gaultier une de ses plus belles collections (baptisée, d'après le sublime film d'Emir Kusturica, le Temps des Gitans) provoque, chez Galliano, des crashs improbables entre combinaisons de motard et tabliers de gretchen, entre falbalas de Mme Irma et gilets afghans, entre feutres d'homme et châles brodés. Il ne faudrait pourtant pas croire que Galliano ait eu la très mauvaise idée de se brancher sur les mendiantes roumaines du métro: ses diseuses de bonne aventure, carrossées comme des Lola Montès, portent des cuissardes polychromes et quasiment rien d'autre. S