Toutes les têtes sont tournées vers le haut. La cohue des chariots,
habituelle en ce samedi, s'est brusquement interrompue. Au beau milieu de l'hypermarché se dressent deux robots géants: ils ont des lumières rouges et bleues qui clignotent, des têtes sculptées dans l'aluminium qui dodelinent mécaniquement, de longues jambes articulées, des pieds à roulettes, un corps tout argent, des bras immenses terminés par des pinces. Ils avancent entre les rayons qu'ils dominent d'une tête, s'inclinent parfois pour ne pas heurter une pancarte publicitaire accrochée au plafond. En dessous d'eux, un petit bonhomme hirsute, en blouse blanche, manipule fébrilement une antique télécommande et s'époumone dans un français approximatif, doublé d'un anglais parfait: «Droite, gauche, don't go this way, stop, stop!»
Trop tard. Un des robots a plongé la main sur une caisse enregistreuse et frappe dessus en cadence; l'autre extirpe un objet d'un Caddie, avant de le redonner maladroitement à son propriétaire hébété. Autour, les enfants piaillent d'excitation et de peur. Ça court, ça crie, ça s'interroge. Mais ça reste à distance. On ne sait jamais. Une dame s'approche néanmoins, profitant d'un moment d'accalmie des deux monstres, soulève la robe de l'un d'eux, s'exclame, interdite: «Ce sont des vrais!» Un peu plus tard, dans les loges aménagées dans l'arrière-boutique du magasin, deux Australiens s'extirperont en nage de leurs carapaces de fer.
«Des habitués y passent la journée.» La scène se passe au