Il y a deux façons d'évoquer Big Sur. Celle de Henry Miller et celle
de Jack Kerouac. Quand, en 1947, le premier, auteur du Tropique du Cancer encore censuré aux Etats-Unis, revient à Big Sur, il s'installe à Partington Ridge, au-dessus des brumes. Il a l'impression de découvrir le paradis. Dans Big Sur et les oranges de Jérôme Bosch, il écrit: «Pour la première fois de ma vie" je sentais que j'habitais le monde où j'étais né.» Pour Kerouac, qui vint en 1960 essayer de se désintoxiquer au fond d'un canyon des effets d'une nouba qui dura trois ans, l'impression est différente: «La mer bleue derrière les hautes vagues écumantes est pleine d'énormes rochers noirs qui se dressent comme de vieilles forteresses d'ogres ruisselant d'une fange liquide" Je me suis demandé pourquoi ce lieu a la réputation d'être beau, pourquoi on ne parle pas de l'impression de terreur qui se dégage des rocailles qui grondent, agonie de la création, du spectacle qui vous attend quand vous descendez de la côte par une journée ensoleillée, écarquillant les yeux sur des kilomètres et des kilomètres de mer dévastatrice.» Jack Kerouac voit tout en noir comme dans un poème de William Blake, comme après une longue cuite ou pendant une crise de delirium tremens carabinée, mais sa description est fidèle. Le paysage de Big Sur est le plus spectaculaire qui soit, le plus effrayant quand il ne paraît pas le plus merveilleux.
S'il y a deux manières de voir cette rencontre dramatique des montagnes de Californie et d