C'est ici nulle part, mais une idée de pays. Une enclave de 2200
hectares enserrée à l'est entre la rive gauche de la Garonne limoneuse et la forêt des Landes, bordée à l'ouest par les eaux vives du Ciron. Bordeaux est à quelques encablures au nord, drapée dans ses certitudes négociantes, mère profuse trônant au coeur de son vignoble marqueté. C'est ici nulle part, mais le pur esprit d'un lieu. Un terroir, non, si cela appelle l'enracinement hautain, l'enclos obtus, le retranchement.
C'est ici nulle part, mais une enclave de l'intelligence de l'homme. Son triomphe. Contre sa cupidité, son impatience, son avidité à vaincre la mort. C'est ici, en somme, un îlot philosophique. C'est ici une république anarchique de seigneurs paysans qui, particule ou non, ne se croient pas tenus de jouer les hobereaux vinifères. Mais, plutôt, une phalange de 400 producteurs aux nerfs d'acier, joueurs de poker qui se sont donné comme vocation d'affronter l'ennemi contre lequel il n'est nulle victoire possible: le Temps. C'est ici Sauternes et Barsac: 2% du vignoble bordelais, 0,5% du vin de Bordeaux.
Le paradoxe du temps. Le temps, certes, parce que l'immémoriale soumission paysanne aux saisons, aux contingences du soleil, du gel, de la pluie et des vents se double, ici, d'une allégeance narquoise, fataliste, peut-être un peu désespérée, à ce qui partout ailleurs est un ennemi mortel: un champignon, le Botrytis cinerea, cryptogame couleur de cendre. Les gens de la vigne lui ont donné un joli nom, p