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Sauternes alchimie de la patience. Le secret du vin liquoreux qui s'élabore entre Garonne et Ciron sur 2 200 hectares tient en un subtil jeu entre les éléments et le temps. Le raisin doit pouvoir pourrir «noblement», aidé en cela par un champignon. Un exercice périlleux aux rendements incertains.

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publié le 28 juin 1997 à 4h36

C'est ici nulle part, mais une idée de pays. Une enclave de 2200

hectares enserrée à l'est entre la rive gauche de la Garonne limoneuse et la forêt des Landes, bordée à l'ouest par les eaux vives du Ciron. Bordeaux est à quelques encablures au nord, drapée dans ses certitudes négociantes, mère profuse trônant au coeur de son vignoble marqueté. C'est ici nulle part, mais le pur esprit d'un lieu. Un terroir, non, si cela appelle l'enracinement hautain, l'enclos obtus, le retranchement.

C'est ici nulle part, mais une enclave de l'intelligence de l'homme. Son triomphe. Contre sa cupidité, son impatience, son avidité à vaincre la mort. C'est ici, en somme, un îlot philosophique. C'est ici une république anarchique de seigneurs paysans qui, particule ou non, ne se croient pas tenus de jouer les hobereaux vinifères. Mais, plutôt, une phalange de 400 producteurs aux nerfs d'acier, joueurs de poker qui se sont donné comme vocation d'affronter l'ennemi contre lequel il n'est nulle victoire possible: le Temps. C'est ici Sauternes et Barsac: 2% du vignoble bordelais, 0,5% du vin de Bordeaux.

Le paradoxe du temps. Le temps, certes, parce que l'immémoriale soumission paysanne aux saisons, aux contingences du soleil, du gel, de la pluie et des vents se double, ici, d'une allégeance narquoise, fataliste, peut-être un peu désespérée, à ce qui partout ailleurs est un ennemi mortel: un champignon, le Botrytis cinerea, cryptogame couleur de cendre. Les gens de la vigne lui ont donné un joli nom, p