Ils l'aiment bien, le cinglé français. Les militaires argentins le
voient régulièrement débarquer à Buenos Aires avec ses yeux bleus, ses poches percées et son air de toujours tomber de la dernière lune, et c'est devenu une plaisanterie locale: alors, ça avance, ce phare du bout du monde? Mais cette fois-ci, André Bronner les a soufflés: les 18 tonnes du phare en pièces détachées ont embarqué le 27 novembre au Havre et cabotent tranquillement vers la glorieuse commune d'Ushuaia, à l'extrême sud de l'Amérique latine, fouetté par le Cap Horn.
André Bronner, 43 ans (Yul pour les copains), est tombé un jour glacial de 1993 sur l'Ile des Etats, un caillou de 65 km de long au large de la Terre de Feu, tellement inhospitalier qu'il y est retourné l'hiver suivant. Il y a découvert les restes d'un phare construit en 1884, minutieusement décrit par Jules Verne dans le Phare du Bout du monde, et s'est mis dans la tête de le reconstruire (Libération du 30 novembre 1996). Dons et copains. Ses copains de La Rochelle, frappés par la grandiose inutilité du projet, se sont jetés dans l'aventure et Yul a su convaincre une poignée d'industriels de suivre le mouvement. Le groupe Pinault a offert les 24 m3 de bois (l'ossature est en pin traité au coeur, le bardage en red cedar, un bois canadien imputrescible), le groupe Vieille montagne zinc a fourni le toit (en zinc), les ateliers Perrault frères ont construit l'ensemble. Un bureau d'études a gracieusement calculé les structures pour que le bâti