Tel-Aviv, envoyé spécial.
Les deux boutiques de mode sont quasiment côte à côte dans le haut de la rue Dizengoff. Dans la première s'habillent les premières dames du pays, la femme du Premier ministre comme celle du Président. Les robes présentées en vitrine sont navrantes de banalité, et les couleurs, aiguës, mordantes, blessantes, crient d'épouvante. Dans le second magasin, le portrait de Yitzhak Rabin est dans la vitrine, et une de ses petites-filles y travaille. Ensuite, les robes, toutes les robes, y compris celles de soirée, font dans la provocation: étoiles juives sur les seins, larges croix chrétiennes sur lesquelles on peut lire «made in Israël», impressions en noir et blanc du visage d'un orphelin palestinien.
«Ma clientèle, c'est la gauche israélienne. Et elle est plus sage que la droite. Au moins, elle comprend ce qu'est la qualité», s'amuse Tovaleh Hassin, 52 ans, considérée dans le milieu de la mode comme «la» créatrice israélienne, la seule qui ose défier les grands couturiers européens. Une gauche chic, puisqu'il faut compter plus de 12 000 francs pour une robe de soirée, il est vrai en soie, et guère moins de 3 000 francs pour une jupe dans la ligne la moins chère. «Mais je peux baisser mes prix jusqu'à zéro si l'acheteur est un pauvre kibboutznik», affirme Tovaleh, qui vient elle-même d'un kibboutz.
Prise de position. A voir ces deux boutiques, on mesure la profondeur des clivages politiques israéliens, ceux entre la gauche et la droite, ceux entre ashkénazes