Lisbonne envoyé spécial
Au bas de l'Alfama, la colline du petit peuple de Lisbonne, accroupi sur des marches, un homme somnole. Il hume prudemment la chaleur accablante qui vient s'échouer sur le gouffre noir du vieux quartier. Sa sieste achevée, il retire de dessous ses fesses un rectangle de carton qu'il range soigneusement dans une plinthe du mur. Puis visage fermé, masque presque douloureux, il s'évanouit dans l'ombre des ruelles. Pour les hordes de touristes qu'attire jusqu'à la fin septembre l'Expo universelle 98, «la dernière du siècle», cette scène d'un mois d'août caniculaire, pourrait être un concentré de l'air du temps lisboète, une brise de «saudade», de langueur désenchantée sur la pointe la plus avancée de l'Occident. Mais à Lisbonne, la nuit tombe aussi et la saudade laisse alors la place à l'énergie, au funk, à l'ambiant, à la transe, au rock, à la dance, à la salsa cubana ou au hardcore brésilien. Ça ne se sait pas encore partout en Europe mais Lisbonne la blanche, «paradis clair et triste» est devenue une grande capitale de la fête. Il y a vingt ans, Barcelone a connu sa «movida». Les Portugais ont pêché un mot tout simple, «la noïte» (la nuit) pour décrire la grande giclée libératrice en passe de changer l'image d'une ville où ne résonnerait que la complainte tragique du «fado». Fado, jazz et zazous. Le tramway 28, le plus célèbre, traverse en son milieu l'Alfama puis, après une descente brinquebalante vers la Baixa, la ville basse, remonte sur une autre c