Un jour ou l'autre, il faudra bien partir. S'éteindre. S'échapper. Disparaître. Mourir, en somme. Mais chut : le mot reste tabou. Trop cru, trop réel. Trop cruel. A la mort d'un proche, si les mots manquent pour exprimer la douleur, les périphrases abondent pour annoncer la nouvelle. «Il nous a quittés», dira la famille ; «J'ai perdu ma mère», confiera un fils ; «Il s'est barré», oseront peut-être les potes du bistrot. Autant de circonlocutions qui permettent de ne pas prononcer «la mort». Même si celle-ci s'immisce progressivement dans la parole.
La «visiteuse du soir» fauche non plus à la maison mais à l'hôpital, avant-dernière demeure la plus courante. Physiquement absente, la mort est pourtant paradoxalement moins abstraite. «Avant, on la cachait aux enfants, explique le linguiste Pierre Encrevé. On disait : "il est parti en voyage", ou "elle est montée au ciel". Mais les psychiatres ont montré les dégâts considérables que l'euphémisation pouvait causer.»
Carnets. Le linguiste y voit une nouvelle forme de transparence : «Dans les carnets des journaux, il arrive même à présent que les causes de la mort apparaissent : le sida, un assassinat, un suicide, etc.» Ces carnets n'enterrent pas pour autant tout contournement : dans bon nombre de journaux, on ne parle pas de «décès», mais de «disparitions», «alors qu'on sait quand même où ils sont passés, s'amuse Pierre Encrevé. Les nouvelles générations sont toutefois plus directes. La déchristianisation fait son effet : on voit moi