Quelle merveilleuse année de paradoxes que cette année 68. Alors qu'on gueule «à bas la société spectaculaire marchande !», alors que le slogan «Ni père ni maître» fait florès, c'est aussi l'année où, imitant les Etats-Unis qui fêtent ça depuis 1910, on se met à célébrer les pères. L'année où on pensait avoir tué le père, dis donc. On pourrait lacaniser sans fin sur le père, le repère, le père-sévère, etc, ce qu'on peut dire, en tout cas, c'est que les nouvelles générations ont fait descendre le patriarcat de son piédestal. Qu'est- il advenu de l'image du père avec/depuis 68 ? Faut-il parler de la «faillite des pères» ? Éléments de réponse avec le sociologue Eric Donfu, auteur de Ces jolies filles de mai (1), qui prépare un livre sur ces «nouveaux pères».
A quoi ressemble un père en 1968 ?
A un «vieux con», pour parler un peu brutalement. Celui à qui on doit notamment mai 1968, une belle incarnation des modèles du passé : le bon père de famille, rond et soupe au lait, le patriarche, âgé et veillant sur le patrimoine familial, le père sévère, hussard sourcilleux, le père héros pontifiant, militaire et décoré, le père souverain, capable d'être violent, le père modèle et soucieux du respect de ses enfants, le père fouettard qui ne veut rien comprendre. Une chape de plomb sur la société. Avec un mot d'ordre : «Réussis, mon fils, et surtout, ne me dépasse jamais.» C'est un modèle qui exclut la mère et est la clé de voûte d'un or