Il faut que l'on vous dise, on a une nouvelle taulière en cuisine : Mme E. Saint-Ange, qu'elle s'appelle. Quatre-vingt-trois ans au compteur et toujours bon pied bon œil, quand il s'agit de remuer le fricot. Lorsqu'on a fait sa connaissance la semaine dernière, on s'est dit qu'avec un nom et une ancienneté pareille, elle aurait pu régaler Sacha Guitry. Lui qui disait : «Le mariage est comme le restaurant. A peine est-on servi qu'on regarde ce qu'il y a dans l'assiette du voisin.»
Feu Mme E. Saint-Ange, on l'appellerait bien «la Saint-Ange». Parce qu'elle a un sacré tempérament, cette daronne des fourneaux. Dans sa cuisine, elle exige toujours une horloge «donnant l'heure exacte», et il ne peut y avoir que des cuillères en bois - les «mouvettes» comme elle dit - pour «remuer toutes choses dans une casserole». Et que je fouette les blancs en neige à la main ; que je pane le merlan à l'anglaise ; que je lie les sauces au beurre manié ; que je braise la langue de bœuf ; que je fourre la grive et que je plume la mauviette ; que je «fraise» la pâte brisée…
On l'aura compris, c'est du sérieux, la maison Saint-Ange ; ça ne badine pas avec le rôt et le pot. Comment vous dire ? Mme E. Saint-Ange, c'est le croisement en cuisine entre une gouvernante anglaise, la mère Brazier et une agrégée d'histoire. Erudite, classique et rigoureuse devant ses casseroles mais toujours d'actualité. Et cela fait un bail que cela dure, depuis qu'en 1927, la libr