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Libération

La soupe à la Duras

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Les foodingues. Chaque jeudi, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, le potage poireaux-pommes de terre magnifié par l’auteure d’«Hiroshima, mon amour».
(Christophe Maout)
publié le 24 juin 2010 à 0h00

Chère madame Duras,

Nous venons vous exprimer par la présente toute notre immense gratitude, notre reconnaissance éternelle, notre admiration éperdue pour nous avoir réconcilié avec ce qui fut notre pire tourment dans l’assiette : la soupe poireaux-pommes de terre. En effet, dans notre mémoire de mangeur, il n’y a pas de trauma plus grand que le souvenir de ce brouet infâme imposé par la puissance maternelle dès la sortie du sevrage.

Pour un peu, on aurait préféré une cure d’huile de foie de morue, de jus de radis noir ou de gouda au caramel à cette horreur liquide que l’on devait ingurgiter sous peine d’être assigné à résidence jusqu’au lendemain dans notre chambrette sans autre provision de bouche et condamné à des travaux d’intérêts généraux comme la multiplication à deux chiffres ou le recopiage des verbes du premier groupe. Tout ça pour une infraction certes constituée - le refus d’obtempérer au «mange ta soupe» - mais oh combien injustement sanctionnée à nos yeux.

Lavasse. En ce temps-là, Nicolas Sarkozy jouait aux petits soldats à l'heure du goûter mais la jurisprudence familiale avait déjà fait sien l'adage du futur présent de la République : «La sanction est une forme d'éducation [discours d'Evry, en 2006, ndlr]». Même avant de susciter la répression, la préparation de la soupe poireaux-pommes de terre était déjà une punition en soi. C'était le pensum des jours gris de l'hiver quand l'ennui collait à l'existence comme la buée aux vitres de la