L’emplacement du restaurant résume l’obstination du chef. Pour manger à l’Auberge du vieux puits, il faut grimper jusqu’à ce village reculé des Corbières, nid d’aigle où l’on accède par une route sinueuse bordant un précipice. Gilles Goujon s’y est installé voilà dix-huit ans, en partant de rien mais avec l’intention de décrocher trois étoiles au Michelin. Plus que l’intention d’ailleurs. L’obsession. En obtenant la troisième cette année, il a ressenti un long frisson, versé une larme, puis s’est remis aux fourneaux.
Sa femme le regarde travailler en cette fin d'après-midi. Le service approche. Elle murmure en l'observant : «Quand je l'ai connu, il était commis à la Compagnie du midi. Il avait 17 ans et on se voyait le soir, quand il sortait étendre les serpillières. A l'époque, il avait un livre de cuisine avec une photo de Paul Bocuse les bras croisés. Il me disait : "Tu vois, plus tard, je serai comme lui". Il voulait déjà devenir meilleur ouvrier de France et avoir trois étoiles.» Quand Gilles a eu 18 ans et le CAP en poche, il lui a demandé de choisir entre le salon de coiffure, où elle entrait en apprentissage, et sa quête aux étoiles. Elle a laissé tomber sa mère et Béziers pour le suivre.
Gilles Goujon a commencé par se chercher un employeur dans le guide Michelin, en ciblant les deux et trois étoiles, pour se former. Il a reçu un télégramme lui disant de rappeler rapidement en PCV pour une place. «Comme j'étais déjà docile comme un bon petit commis,