C’était l’autre midi à Bordeaux. Terrasse de bistrot au soleil et nappe à carreaux rouges et blancs. Un couple s’attable. Lui, la soixantaine, en pull marin, crinière argentée et peau mate. Elle, vingt ans de moins, petite chose de caractère ; une chevelure acajou enfermée dans un foulard noir savamment noué et des yeux magnifiques vaguement inquiets, couleur d’aigue-marine. Ils scrutent la grande ardoise du menu. A la formule du marché à 12,50 euros (entrée + plat + dessert avec un verre de vin et un café), il y a en entrée une assiette de charcuterie, une tarte à la tomate, des crudités et pour suivre un faux-filet, du rôti de porc ou de la morue. Le serveur, filiforme, vêtu de noir, salue le couple et prend leur commande. C’est l’homme qui s’exprime en premier :
«Philippe, pour moi, ce sera charcuterie et faux-filet saignant.
- Tu ne vas quand même pas prendre de la charcuterie, déjà que tu vas manger des frites avec ton faux-filet.
- Et pourquoi je ne prendrais pas la charcuterie, c'est la première fois de la semaine ?
- [Soupirant]Avec toi, c'est toujours la première fois.
- [Ironique] J'ai connu un temps où tu ne t'en plaignais pas de mes premières fois…
- [Levant les yeux au ciel] Baste.Pour moi, ce sera crudités et faux-filet à point, mais avec de la salade. Comme ça, je goûterai les frites de Monsieur.»
L'homme apostrophe le serveur qui s'éloigne : «Et puis un verre de vin rouge s'il te plaît.
- [Elle :