Luis qu'on l'appelle. Mais, franchement, on n'a jamais su si c'était son vrai prénom. «Disons que c'est un surnom que j'ai adopté quand il a fallu tourner la page», a-t-il lâché, un jour, énigmatique. Parce que dans une autre vie, Luis est monté au braquage, a connu «l'ombre» et les longues peines. Il a fallu longtemps, beaucoup de silences, de déambulations nocturnes, de banquettes de bistrot, pour qu'il nous laisse entrevoir cette «petite mort», comme il dit de la prison. La première fois que l'on a croisé Luis, c'était chez Gaby. Un rade du fond de la zone. Autrefois, on aurait dit que c'était un bar «d'apaches», de rebelles des «fortifs», de «blousons noirs». Aujourd'hui, on dirait qu'il est situé au cœur «d'une zone urbaine sensible», dans l'une de ces galeries marchandes moribondes où l'on cache les faillites derrière des vitrines masquées par des panneaux de contreplaqué ou de carton.
On vient chez Gaby pour un expresso qui dure une demi-journée, entre les accros au Rapido, les matrones abonnées à France Dimanche, les précaires qui font deux journées en une pour tenter de joindre les deux bouts et les imbibés de kir qui tanguent quand ils ne s'accrochent pas au comptoir. Il y a de la frisette aux murs, des vues de la Kabylie et du Portugal, la main de Fatma, une image pieuse de sainte Thérèse de Lisieux et d'innombrables cartes postales envoyées par les habitués : «Souvenirs de Valras-Plage»