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Tu mitonnes !

Casque on mange ?

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Tu mitonnes !dossier
Chaque jeudi, passage en cuisine. Aujourd’hui, les fraises.
publié le 12 mai 2011 à 0h00
(mis à jour le 13 mai 2011 à 17h44)

La première fois que Marius rencontra Noémie, c’était un soir à la laiterie du bourg. Ce devait être durant l’été 1916. Marius déchargeait ses bidons de lait de la voiture à cheval. Dans l’effort, il sentait encore des pointes de douleur dans son oreille droite et la longue cicatrice qui courait depuis le derrière du lobe jusqu’au début du menton.

Marius avait été blessé dans les premiers jours de l'offensive allemande sur Verdun en février 1916. Dans le déluge d'artillerie qui s'était abattu sur sa position, il avait soudain senti comme une vague de chaleur sur sa tête, le shrapnell lui grêlant le visage, puis un bourdonnement et un sifflement intense dans ses oreilles et le goût écœurant du sang chaud qui se répandait sur ses lèvres. A ses côtés, son camarade Charles était tombé face contre terre, sa capote remontée sur une large plaie béante au niveau du bassin. Le malheureux cherchait désespérément l'air en respirant bruyamment. Marius s'était laissé choir dans la boue retournée de la tranchée et avait pris la main de Charles : «Ça va aller, vieux.» Il n'entendait plus ses propres mots, tout sourd qu'il était devenu.

C'est un grand frisson de fièvre qui réveilla Marius à la nuit tombée. Jusqu'à son dernier souffle de vieil homme, il se rappela du corps déjà blême et froid de son camarade Charles quand les brancardiers avaient enfin atteint leur position. Marius s'était appuyé sur l'épaule d'un géant, un bûcheron de la forêt de Tronçais, jusqu'au premier poste de s