A quoi pensent les vignerons lorsqu’ils boivent leur vin ? La question s’est imposée un soir, sous la tonnelle de l’un d’eux, invité récemment dans cette chronique. On parlait de millésimes et Eric Bouletin a raconté cette anecdote. Quelques jours plus tôt, un voisin l’avait invité à manger des brochettes de cailles. Il avait apporté un magnum de vacqueyras 2003. Et pendant que tout le monde dévorait les oiseaux, il s’est évadé. Le nez dans son verre, il revivait 2003, cette année si chaude, si compliquée. Il arpentait les vignes, s’inquiétait, huit ans plus tard, au bord des cuves, retrouvait les odeurs, les soucis. Le millésime défilait comme un film. Les choses de la vigne, un retour en arrière.
La mémoire des vignerons est souvent fabuleuse, assez magique. Chez les anciens surtout. Ils peuvent citer sur plusieurs décennies chaque date d'apparition des bourgeons, de la fleur. Le nombre de jours de pluie, les degrés, le lancement des vendanges, les réactions de chaque cuve. Chaque geste qu'il a fallu faire. Comme si chacun d'entre eux les avait marqués, s'était gravé profondément dans leur mémoire comme une entaille. Cette mémoire est essentielle car le vin reste une affaire d'expérience, d'empirisme. Il faut se souvenir pour se projeter, imaginer les bonnes réponses. Une ancienne journaliste de Libération, Catherine Bernard, devenue vigneronne dans le Languedoc, évoque cette question de la mémoire au détour d'un chapitre du livre (1) qui raconte son installation (