Ça nous est tombé dessus, un soir, à l'heure où l'on met machinalement l'eau des pâtes à chauffer. On a pris une pincée de sel gris, quand on a cru entendre une voix aujourd'hui disparue nous dire : «Le sel, ça ne se mesure pas, tu le verses dans le creux de ta main et là tu sens bien.» Combien de fois s'est-on retrouvé ainsi la mine désolée devant une casserole à se demander si on avait mis la bonne quantité de sel ? Et de jauger le creux de notre main en se disant qu'en cuisine, la transmission des savoirs et des gestes n'est pas une mince affaire mais qu'elle est irremplaçable et que ce don précieux vaut tous les bouquins de recettes.
On était ainsi luné devant notre gamelle de nouilles quand on songea au livre le Goût transmis (1). On s'était promis de rencontrer Christine Ferber, pâtissière (2) qui raconte si bien dans cet ouvrage l'alchimie que constitue la transmission familiale, somme de sentiments, de tours de main, de non-dits, à travers l'histoire du Relais des trois épis, la boulangerie-pâtisserie-épicerie familiale, située à Niedermorschwihr (Haut-Rhin). Ça fait plus de cinquante ans qu'ils sont là les Ferber. Maurice et Marguerite s'installent à Niedermorschwihr en 1959, juste après leur mariage. Ils ont trois enfants : Christine, Betty et Bruno, qui travaillent toujours ensemble. Là-bas, au fond de l'arrière-boutique, il y a le laboratoire où le cassis et les griottes vont macérer toute la nuit avec le sucre entre deux cuissons, pour les fameu