C'était il y a un siècle, un petit bistrot niché au fond d'une rue sombre du XVIIe arrondissement à Paris. L'endroit ressemblait à un couloir avec une poignée de tables serrées autour d'un comptoir patiné où l'on descendait des kir avant de passer aux choses sérieuses : la bectance consacrée par un menu unique, sans contestation ni dérogation possible. On se recueillait donc devant l'ardoise accrochée telle un ex-voto au-dessus de notre assiette : il fallait choisir entre la terrine de lapin, le hareng pommes à l'huile, la salade aux foies de volailles avant d'enchaîner immuablement sur un steak à l'anchois et un baba au rhum. De son bar, la patronne contemplait sa minuscule salle avec un litron de côte-du-rhône en embuscade pour refaire les niveaux des pichets vidés. On l'appelait Jeanine ; elle avait le sourire las mais doux et les yeux ourlés de khôl qui lui donnaient un air d'Anna Magnani. Les jours de pluie, elle nous faisait écouter des chansons de Serge Reggiani en servant des petits verres glacés d'Armarghina. On se quittait alors le feu aux joues, ragaillardi par la froidure du dehors qui nous poussait jusqu'au dernier métro à la station La Fourche.
Bonheur. On est retourné il y a peu du côté de chez Jeanine pour découvrir que sa taule avait disparu et qu'on y vendait désormais du voyage à crédit. Autant dire de la fumisterie en boîte pour qui, comme nous, aime les petites fugues sur le zinc et préfère encore les troquets avec licence IV a