«Mon tendre amour,
Je te bénis tous les soirs pour les mitaines que tu m’as tricotées et qui me permettent de t’écrire les doigts au chaud. Ce soir, c’est la fête. Nous dormons au sec, derrière nos lignes, dans une grange bien garnie en foin. Le sergent m’a déjà houspillé à cause de la bougie que je trimballe avec moi sur la paille pour pouvoir t’écrire. Il a peur que je foute le feu à la carrée. Comme si on n’avait pas pris l’habitude de prendre nos précautions en trois années de guerre. Aujourd’hui, on s’est sentis presque orphelin sans le bruit de canonnade au loin.
«Ici, dans ce village pas mal amoché, ce n'est pas encore vraiment l'arrière mais, au moins, on peut changer de linge et faire notre lessive. Et puis, tu sais quoi, on s'est fait un sacré gueuleton ce soir. Mon copain Michelet, dont je t'ai déjà parlé, a dégoté chez une vieille qui ne veut pas partir une douzaine d'œufs et un sac de patates. Alors, on s'est fait une omelette d'enfer avec les copains. Michelet a trouvé le moyen de marauder quelques pommes, que l'on a fait rôtir au feu avec un peu de sucre. C'était le grand luxe et on les a savourés jusqu'à la dernière bouchée, car c'est plutôt rare de casser ainsi la croûte. Parce que le rata du front, c'est vraiment pas ça. On mange le plus souvent froid, le temps que les bidons arrivent de la roulante. Avec les grosses pluies, les gars en bavent comme ce n'est pas permis pour nous apporter la soupe. Ils glissent dans les boyaux remplis d'eau. Et puis la viande