Auteure de 100 000 ans de beauté (1), l'ethnologue Elisabeth Azoulay décrypte la façon dont les femmes investissent leurs potrine.
Depuis quand les femmes se préoccupent-elles de leurs seins ?
En Occident, dans l'Antiquité grecque comme romaine, le sein n'est pas érotisé. C'est avant tout une mamelle que l'on comprime et cache sous le vêtement. Au Moyen Age, on vante un sein de petite taille, juvénile, haut perché. Tout change avec la Renaissance : la mode vestimentaire met le sein en valeur, l'érotise, tandis que tout le bas du corps est dissimulé. Dans les salles de bal, à l'opéra, une belle femme a le visage et les mains soignées, et un grand décolleté. Les moralistes se déchaînent - «Cachez ce sein que je ne saurais voir»(Tartuffe) -, mais le mouvement est lancé. D'autant qu'à cette époque, on délègue l'allaitement à plus pauvre que soi : la nourrice. Aux aristocrates un sein érotisé, aux pauvres le sein nourricier. Le XIXe siècle vient jeter un voile de pudeur, avec des cols de chemisiers boutonnés très haut. Mais le sein a acquis un caractère sexuel. Et même si les campagnes hygiénistes prônent l'allaitement maternel pour lutter contre l'importante mortalité infantile et tentent donc de ramener le sein dans le camp de la mamelle, l'érotisation demeure. On entre alors dans l'époque moderne, caractérisée par le maintien de cette tension contradictoire.
L’érotisation des seins est-elle en contradiction avec les mouvements d’émancipation des femmes ?
Non. Dès les années 20, l’image d’une femme androgyne, sportive dans les milieux aisés, aux petits seins très cachés, traduit une émancipation. C’