Que penser de la tentative suédoise de «neutraliser» le sexe d’un enfant en ne l’appelant plus «il» ou «elle» ? Entretien avec Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste (1), qui travaille notamment sur les mutations du genre.
L’égalité hommes-femmes passe-t-elle nécessairement par la négation de la différence des sexes ?
Cette initiative suédoise est vertigineuse. Créer un pronom neutre a un air égalisateur, mais c’est un acte sociopolitique qui risque surtout de générer de la violence. Un vrai tour de passe-passe. En fait, cela revient à créer des pseudo-conditions d’égalité. Dans cette crèche de Stockholm, l’ordre est donné de remplacer le «il» ou le «elle» par un nouveau pronom neutre, chargé de dissimuler ce qui nous fonde comme être humain et qui est source de désir. En cachant le féminin ou le masculin, on fabrique donc du refoulement. Le camouflage, le recouvrement ne produisent pas de l’égalité, au contraire. A mon sens, il s’agit avant tout d’une attaque contre le désir comme reconnaissance de la différence, dans sa folie aussi.
L’intérêt bien connu des Suédois pour les questions de genre vous semble-t-il cependant fondé ?
Ce qui me frappe, c'est qu'au moment où les questions de genre s'intègrent dans la société, elles sont déjà obsolètes. D'un point de vue philosophique, je crois que la réalité de la différence sexuelle sera perçue de plus en plus comme une notion archaïque, dépassée. On voudra «choisir» son sexe comme le reste, ce sera une option parmi d'autres. En consultation, je reçois de plus en plus de gens jeunes (entre 18 et 30 ans) qui se disent bisexuels, en refusant d'opposer deux formes de sexualité. Ils veulent la liberté de choix, récl