A quoi pouvait penser Joseph Bruce Ismay, accoudé au bastingage, ce mercredi 10 avril 1912, en voyant se dessiner les côtes françaises ? Le président de la White Star Line, la compagnie britannique qui venait de construire le Titanic, faisait évidemment partie du voyage inaugural au côté de l'architecte du navire. Avant la fin de la journée, il allait accueillir à son bord l'essentiel des passagers de première classe venus par train spécial de Paris. Un mouillage de quelques heures dans la rade de Cherbourg, avant de prendre le large vers l'Irlande, puis cap vers l'ouest et New York, destination finale de la traversée.
Le plus beau paquebot du monde allait faire la plus belle traversée que l'on puisse imaginer. Un symbole du génie de la «race britannique». Nul ne pouvait en douter. Sans doute avait-il pris connaissance, dans la matinée, de l'article du Cherbourg Eclair annonçant leur arrivée dans la rade normande. Un entrefilet insistant sur la taille de ce paquebot de tous les superlatifs, les quantités de nourriture impressionnantes stockées à son bord, son luxe tapageur et le prix inimaginable des suites en première classe. «Il est vrai que pour environ la centième partie de cette somme, concluait avec perspicacité le journaliste local, on pourra être du même bateau en troisième classe, mais avec les mêmes chances d'arriver heureusement.»
En attendant, c’est une foule compacte qui se presse pour apercevoir les quatre cheminées mo