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Libération

En mémoire d’une côte rôtie bien ficelée

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publié le 19 avril 2012 à 20h26

C'était un soir d'hiver. Il avait fait très froid dans la journée, le feu ne parvenait pas à chasser l'humidité de la cuisine. Une bécasse cuisait gentiment dans le four. Avant de plumer la bête, j'avais ouvert le vin. C'est bien, ce moment où tu es seul, tu prépares à manger en goûtant le vin. J'avais remonté une bouteille de côte rôtie de Pierre Bénetière, qui a commencé avec 2,5 hectares qu'il vinifiait à l'époque dans son garage. Côte rôtie et condrieu tout en finesse. Le bouchon était imbibé, un peu mou, j'ai eu peur. Mais non. Au nez, ces arômes de violette, de fruits noirs, de fumé, et quelque chose qui annonce les tanins d'une côte-rôtie en papier de soie. J'ai repensé alors à mon voyage initial à Ampuis (Rhône). Les premiers vignerons m'avaient refroidi. L'un était plus farci de prétention que ma bécasse de cèpes. Un autre ouvertement raciste, parlant des «gris» pour les Marocains. Et puis j'étais tombé sur les Gangloff, Yves et Mathilde. Nous avions déjeuné chez un de leur copain, ils m'avaient raconté leur histoire.

Elle était du coin, lui venait d'Alsace, fils de militaire. En partance pour Katmandou avec des copains, il était passé par Ampuis, parce que son frère, peintre, y squattait un château abandonné. Il y avait croisé Mathilde, n'était jamais reparti. Il était devenu ouvrier agricole et certains paysans, peut-être le père de celui qui parle de «gris», l'appelaient «le pédé». Mathilde m'a précisé en riant qu'il ne l'était pas du to