On l'avait remarquée dès la gare. Empêtrée qu'elle était avec sa valise, son sac à main en bandoulière et son billet à composter. On la voyait hésiter devant le boîtier jaune. «Pardon monsieur, comment ça se poinçonne ce truc-là ?» qu'elle nous a dit. Son visage avait quelque chose de paradoxal avec sa face ridée comme une petite pomme d'hiver et ses yeux si pétillants qu'ils suggéraient une jeunesse passée friponne et bien remplie. Elle avait de beaux restes de malice la mémé, mais pour l'heure, elle était en rogne contre le chemin de fer : «C'est pas un billet, hein, ça ? qu'elle nous répétait. Tout ça, c'est la faute de mon petit-fils qu'a absolument voulu acheter ma place sur son ordinateur. Ah ! Quelle misère leur truc d'Internet, vous pensez pas, jeune homme. Je peux vous appeler jeune homme, hein ? Vous avez l'âge de mes fils.»
On n'avait pas encore pu en placer une. «Si madame, c'est bien un billet que vous avez, mais il n'y a pas besoin de le composter.» Elle nous toisa comme si on venait d'outrager la mémoire du Général. «Mais depuis quand on poinçonne plus les billets ? elle s'insurgea. Je voudrais bien voir ça ! Et dire qu'avant, ça faisait vivre des cheminots, ce genre de besogne, c'est pas normal.» On risqua sans grande conviction : «Mais madame, c'est un e-billet, c'est marqué, regardez là.» «Un quoi ?» Elle avait l'air franchement effrayée, l'ancienne. Elle se voyait déjà contrôlée, sermon