Tous les samedis matin, durant une vingtaine d’années, j’ai observé leur ballet depuis ma mansarde. Au début, ils arrivaient dans une Peugeot grise. Une 505, si mes souvenirs sont bons. L’homme au volant faisait son créneau avec une minutie d’horloger. Il descendait le premier, contournait la voiture par l’arrière pour aller lui ouvrir la portière. J’apercevais d’abord ses jambes chaussées d’escarpins ou de bottes, puis sa chevelure, blonde, brune ou encore acajou au gré des teintures. Puis il ouvrait le coffre d’où il soulevait un cabas à commissions et un sac de voyage en cuir beige. Ils remontaient alors rapidement le trottoir, sans un mot. Derrière mes rideaux, je voyais l’homme poser son bagage pour ouvrir la petite barrière de bois vermoulue et plonger la main dans la poche droite de sa veste où il s’emparait de la clé de la porte d’entrée. De ma planque, je pouvais encore les mater quelques instants. En me penchant, j’aurais pu effleurer leurs têtes du bout des doigts tellement cette vieille bicoque était tassée sur elle-même.
Talons. Vingt ans d'observations hebdomadaires à les voir vieillir, se tasser ; prendre des rondeurs et des cheveux blancs. Ils étaient mon rendez-vous du samedi, ces vieux amants sans nom avec leur rite immuable. Combien de fois toutes ces années, ai-je entendu le bruit sourd de leur clé dans la serrure de la chambre du rez-de-chaussée à droite du couloir ? Il y avait aussi leurs pas sur le lino et parfois ses talons à elle un p