On la croise souvent le samedi matin sous le pont qui enjambe le périph. Grosse dame au chignon tiré en arrière et larges lunettes de plastique où se perdent ses grands yeux bleu cernés. Elle souffle longuement avec ses deux grands cabas chargés comme pour un retour au bled. Elle a fait le plein au marché couvert de la banlieue nord. «Paris trop cher»,répète-t-elle quand on la rencontre ainsi bâtée comme une mule sur l'un de ses innombrables chemins de ravitaillement. S'il ne fallait retenir qu'un seul objet d'elle, ce serait ces gros sacs à soufflets et à carreaux que l'on trouve à Barbès et qu'elle traîne sans cesse avec elle.
Frichtis. Entre nous, on l'a surnommée «Madame Doubitchou», du nom de ses infâmes confiseries qu'essaie de fourguer un immigré venu de Sofia dans le Père Noël est une ordure. Personne ne sait si Mme Doubitchou a quelque chose à voir avec la Bulgarie mais, à son accent, on a toujours pensé qu'elle était originaire du Grand Est de l'Europe plutôt que du Berry. De toute façon, Mme Doubitchou n'est pas une grande communicante. Longtemps, nos échanges se sont limités au dialogue réglementaire de la cage d'escalier : «Bonjour, ça va ?» «Oui, moi ça va, merci. Fait pas chaud, hein ?» Circulez, y a rien à voir, elle nous faisait comprendre Mme Doubitchou, même si on n'a jamais douté de sa gentillesse. Alors, nous, on se console en matant la fenêtre de sa cuisine. Tôt le mati