Des barges, j'en ai connu pas mal en trente ans de «sapin» (taxi). Mais des comme lui, franchement c'est la première fois. Vendredi, vers 19 heures, je roule tranquillement sur Jaurès. En ce début d'année, ça se bouscule pas pour monter dans mon fiacre, les gens sont rincés du porte-monnaie. A Laumière, j'avise un gonze qui lève le bras. Le genre bien mis. Loden et toque d'astrakan, des pompes Weston, un beau sac de voyage en cuir qui a joliment bourlingué. Il porte aussi un grand carton solidement ficelé. J'ouvre le coffre, pas léger son colis. Il me prévient : «Attention, c'est fragile. Il ne faut pas que ça bouge.» Je coince donc le chargement contre ma roue de secours. Le client approuve d'un hochement de tête.
Je le détaille dans mon rétro quand il s'installe sur la banquette arrière. Avec sa barbiche, ses yeux bleus et ses cheveux tirés en arrière, il me rappelle quelqu'un… un gars dont ma femme était tellement raide dingue qu'on est allé le voir danser. Bigeard ? Béjart ? Non pas Bigeard, ça, c'était un biffin. Le mec qui faisait des pointes, c'était Béjart, Maurice, oui, Maurice Béjart. Son sosie m'interpelle poliment : «A Marseille, s'il vous plaît.» Là, je tords du nez. «La rue de Marseille, c'est à côté, dans le Xe, que je lui dis. Vous auriez dû prendre le métro jusqu'à Bonsergent.» L'homme retire posément ses gants en chevreau : «Non monsieur, pas à Paris. Je vais à Marseille dans les Bouches-du-Rhône.» Ben