Quelques jours avant Pâques, Monsieur Prost s’en va en ville sur son vélo Peugeot triple plateau, couleur champagne et sacoches d’origine accrochées au porte-bagages. Ce matin, il roule doucement dans le froid qui fait de la résistance en expirant d’épaisses volutes de vapeur. C’est qu’il est devenu frileux avec les ans, M. Prost. Même avec ses gros gants en cuir et sa vieille parka de chasse doublée, il a l’onglée et supporte difficilement les piqûres glacées qui lui cardent le dos.
Il y a une poignée de kilomètres jusqu’à la ville. D’abord les pâtures du gros Gérard, qui y met en ce moment ces juments pleines ou à peine délivrées de leur frêle poulain. Puis il entre dans le bois de la Crochère, là où les anémones dardent leurs premiers boutons, têtes d’épingles blanches qui égaient la morne litière de feuilles mortes. Quand elles seront vraiment fleuries, M. Prost en fera un gros bouquet qu’il mêlera à quelques pervenches et autres primevères. Puis, il ira au cimetière, où il s’arrête chaque fois qu’il va en ville. Depuis longtemps, le lotissement du faubourg a cerné les hauts murs funéraires. Quand il dépose son bouquet dans un vase de céramique blanche sur la tombe de feu son épouse, M. Prost est pile-poil en face de la salle de bains de la maison voisine. Si la fenêtre est ouverte, il entend parfois brailler un sèche-cheveux ou la radio branchée sur RTL.
Marotte. Le dimanche, il y a aussi le crissement des pas des enfants qui jouent a