Il y a des êtres qui cuisinent et d’autres qui font à manger. On a toujours eu davantage de tendresse pour les seconds. Non pas que l’on évite les gens qui cuisinent, bien au contraire. Mais chez ces derniers, il y a une certaine prise de distance par rapport aux mangeurs, ne serait-ce qu’à cause du passe-plat qui sépare la cuisine du restaurant. Alors que chez les gens qui font à manger, il n’y a pas ce retrait, ils vous emplissent de leurs nourritures, ils vous remplissent de leur vision du monde ; de leur conscience. C’est tout ou rien.
Au Pétrelle (1), on peut voir les fourneaux depuis la salle. Jean-Luc André, 50 ans, fait à manger. On l'avait subodoré en reniflant sa carte. Rien que du frais. «Fricassée d'artichauts bretons, trévise, roquette sauvage, basilic» ; «pigeon de Vendée sans os rissolé, morilles fraîches» ; «fraises, fondue de rhubarbe, carré croustillant». On s'était dit alors que ce gars-là avait un monde à lui et que quand il faisait à manger, il plaçait ses convives au centre de son univers. Alors, l'autre matin, quand on le retrouve à 4 heures du matin pour son marché à Rungis, on découvre un gars volubile au volant de sa camionnette.
A 4 h 15, dans la nuit noire sur le périph, tout est déjà dit. L’enfance en Ardèche, un épisode d’anorexie, le garçon qui faisait à manger en cachette - des artichauts du jardin familial - pour manger ce qu’il aimait.
On débarque à Rungis par le grand paquebot blanc de la halle aux poissons. Entre le