La journée touchait à sa fin, la lumière se faisait rasante sur les vignes languedociennes. Quelques grains oubliés faisaient la joie d’une grive. Le vent ramenait l’écho d’une route lointaine. La fatigue rôdait, calmée par l’excitation. Nous allions boire (pour la première et sans doute dernière fois de ma vie) un château-d’yquem 1929, millésime béni des amateurs de sauternes. C’est rarement ma tasse de vin : souvent trop lourd, trop sucré, manquant d’équilibre, d’acidité. Je garde quand même un bon souvenir de quelques crus-barréjats.
Qu’allait donner cette vieille dame sortant de près de quatre-vingts ans d’hibernation ? Yves était ému de partager cette bouteille offerte par sa tendre. Bien avant le repas, il l’avait ouverte lentement. A tour de rôle, chacun l’avait prise pour regarder l’étiquette, avec cette angoisse vertigineuse de la laisser échapper. Si cela m’était arrivé, je serais parti en courant me réfugier dans une pension de famille discrète de la banlieue d’Oulan-Bator. Large, le bouchon n’avait visiblement jamais été remplacé, semblait très imbibé. Le niveau du vin était haut, bon signe. La couleur, en revanche, était étonnante. Sombre pour un sauternes, un peu comme un porto. Chacun s’inquiétait in petto, se demandait si cette couleur n’annonçait pas une bouteille trop évoluée. Yves a senti, et souri. Un copain avait préparé un joli foie gras, cuit au sel. D’ordinaire, je trouve l’accord assez misérable, mais avec un vin plus vieux, moins liquoreux, cela pouv