Le gluon est là en pleurs au bout de la table. Tête enfouie dans les bras, il cache ses larmes qui, pour le coup, ne sont pas du cinoche. On tente de le jauger tandis qu'il renifle comme un chevreau. «Qu'est-ce qui ne va pas gamin pour que tu sois dans un état pareil ?» Voilà que ses sanglots redoublent tandis qu'on le secoue gentiment. «M'enfin, pourquoi tu chouines pareillement ?» Silence humide et rideau tiré. Faut inverser la vapeur : «Si c'est pour une bêtise que tu miaules ainsi, autant causer tout de suite, t'as déjà rempli un seau de pluie. Et puis, tu sais ce qu'on dit "Faute avouée est à moitié pardonnée".» Il doit se dire qu'on radote, le môme, mais au fond de lui il sait bien que ça marche avec le vieux. Faut juste lui laisser le temps de lever doucement la tête pour nous épier avec son museau de louveteau. Il nous radarise avant de prendre son élan en affichant sa gueule d'ange : «J'ai cassé ta tirelire», qu'il jappe avant de couiner à nouveau comme Ralph, son cochon d'Inde neurasthénique. Ben, tu vois, c'était pas si difficile de vider ton sac, qu'on songe, nous qui savons que les conneries, c'est jamais férié.
Balin-balan. «Et laquelle de tirelire, tu as cassé, celle en forme de vache-qui-rit ?» Silence dans les rangs. «Le bibendum Michelin ?» Il fait non de sa tête baissée. Ça sent la bêtise en or. «Celle en forme de Dark Cador ?» Le môme se recroqueville comme une vieille datte tandis qu'on gamberge : «T'as quand même pas touché à la grenade ?» qu'on meugle. Une poignée d'anges passe en formation de combat. «Si, mais j'ai pas fait exprès», susurre le gluon qui, s'il pouvait, traverserait bien la table et le plancher pour se réfugier à la cave. «La grenade, rien que ça, t'es en forme aujourd'hui, dis donc. Pourquoi tu n'es pas allé découper au ciseau le sac Hermès de la voisine ?» On n'aurait pas dû le vanner, il ne sait plus où il habite le galapiat tant il braille. «Oh, stop, gamin, la boîte à claques a été définitivement fermée par le conseil de l'Europe. T'inquiète, on ne te chicotera pas, montre-nous plutôt les dégâts.»
Balin-balan, voilà qu'il nous entraîne au pays merveilleux des Pokémon et de Zlatan, où l'on découvre la scène du crime : six bouts de terre vernissée, soit feu notre tirelire en forme de grenade, le fruit, pas le hochet à John Wayne dans les Bérets verts. «C'est pas Apocalypse Now qu'on lui dit, à l'Apache qui file doux. On va faire chauffer la colle et ça devrait aller pour la réparer.»
Dardanelles. Là, comme par enchantement, les oreilles du lapereau se relèvent, raides comme la justice. Il va bientôt nous réclamer une glace au citron pour son goûter. Doucement qu'on lui fait, il y a encore de l'électricité dans l'air. Parce que nous, on y tient à cette grenade, même rafistolée. «Figure-toi qu'elle raconte une très vieille histoire. Un jour, un de tes aïeux a troqué ses sabots contre une paire de brodequins de poilu. C'était pas qu'il en avait tellement envie mais il était enrôlé dans le grand cassage de gueule mondial. Le voilà dans la bataille des Dardanelles en 1915 face aux Ottomans. Imagine le jetlag, lui qui n'avait jamais quitté son canton. Un jour, on lui présente un fruit inconnu, une grenade. Ses camarades de tranchée reniflent cette drôle de pomme, mordent dedans et font du pouah en recrachant la peau. Certains en découvrent les graines et le jus qu'ils semblent apprécier mais ton aïeul trouve trop belle "cette grosse nèfle" pour croquer sa peau épaisse. Et tu sais quoi, il la range dans sa musette et la fait sécher. Cette grenade le suit jusqu'à la fin de la guerre, précieuse relique qu'il ramène au pays. C'était "la grenade des Dardanelles", comme il disait. Un jour, il la montre à un copain faïencier qui, avec un peu de terre et beaucoup de talent, la reproduit en forme de tirelire. On n'y a jamais mis de pièces car il était inimaginable de la casser pour les récupérer.» Pour une fois, le gluon a suivi l'exposé sans moufter. Il fait même des heures sup, veillant sur la grenade recollée jusqu'à en oublier son quatre-heures.
- «Tu sais quoi, elle est à toi maintenant la grenade, tâche de ne pas l'exploser à nouveau, sinon ce sera poubelle, qu'on grogne.
- Ben, faut pas, je mérite pas.
- Tais-toi vaurien et viens manger une glace.»
Citrons. On a déniché une appétissante recette «d'épinards au citron et à la grenade» dans le Meilleur de la cuisine orientale (1) qui rassemble de belles saveurs pour se dépayser à table, en toutes saisons. Pour quatre personnes, il vous faut : 1 kg d'épinards frais ; 1 citron ; 1 grenade ; 4 oignons ; 5 gousses d'ail ; 5 cuillères à soupe d'huile d'olive ; du sel et du poivre. Lavez soigneusement les épinards dans plusieurs eaux pour bien enlever la terre. Egouttez-les et coupez-les grossièrement. Epluchez et écrasez les gousses d'ail ; émincez les oignons. Dans un plat à tajine ou une sauteuse, faites revenir les oignons dans la moitié de l'huile pendant environ 10 minutes jusqu'à ce qu'ils brunissent, sans brûler. Réservez. Coupez la grenade en quatre et égrenez-la en éliminant les membranes blanches intérieures. Réservez. Pressez le citron. Faites revenir l'ail écrasé dans le reste d'huile, puis ajoutez les feuilles d'épinards. Salez, poivrez et versez le jus de citron. Faites mijoter pendant 15 minutes à feu doux et à couvert. Laissez tiédir et parsemez de grenade et d'oignons frits.
Toujours dans le même ouvrage, on a également débusqué cette recette de sorbet au citron. Il vous faut 5 citrons bio ; 220 g de sucre en poudre et 3 blancs d’œuf. Dans une casserole, à feu moyen, mélangez le sucre avec 60 cl d’eau. Laissez dissoudre le sucre, puis faites frémir 15 minutes jusqu’à obtenir un sirop assez épais. Laissez refroidir complètement. Versez le sirop dans un grand bol. Pressez les citrons et râpez le zeste finement pour obtenir la valeur de 2 cuillères à soupe. Ajoutez les zestes et le jus au sirop, puis transvasez dans un bac à glace. Placez au congélateur près de 2 heures jusqu’à ce que le sorbet commence à prendre. Battez les blancs en neige ferme. Incorporez-les au sorbet et fouettez jusqu’à ce que l’ensemble soit mou, mais pas liquide. Remettez au congélateur encore au moins deux heures jusqu’à ce que le sorbet se forme. Battez encore une fois, puis congelez de nouveau pendant au moins une heure avant de déguster. Vous pouvez parfumer ce sorbet avec des feuilles de menthe broyées ou de l’eau de fleur d’oranger.
(1) «Le Meilleur de la cuisine orientale», First Editions, 7,95 €.