Elle avait 87 ans, s’appelait Thérèse. Elle vivait depuis quelques années dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de la banlieue ouest de Paris. Cette vieille dame était tout au bout de sa vie. Thérèse a toujours dit qu’elle voulait mourir chez elle, dans sa chambre, c’est-à-dire là, dans cette maison de retraite. Sa famille aussi.
Mais voilà, cette nuit, elle a manifesté du mal à respirer. Une fin de vie difficile, en présence d’une aide soignante, seul personnel soignant présent la nuit. Celle-ci s’est alors inquiétée, a prévenu la directrice de permanence. Et devant la tension ambiante, le Samu a été appelé. La vieille dame a été transportée aux urgences, où elle recevra peu de soins. Trois jours plus tard, elle décédera dans un lit de médecine interne.
Une histoire comme il y en a tant. Comme un regret vivant. Mourir à domicile, c'est le souhait de presque tout le monde. Mais dans la pratique, à peine un quart le fait. Ce mercredi matin, l'Institut national d'études démographiques (Ined) publie une remarquable étude sur les dernières semaines avant la mort. «Ce qui nous a marqués, note Sophie Pennec, démographe et responsable de ce travail, c'est de voir qu'un mois avant le décès, les trois quarts des personnes vivent chez elles. Et au final, pourtant, un très petit nombre va mourir à domicile.» C'est en reprenant l'enquête «Fin de vie en France» de 2010, pour laquelle près de 15 000 décès avaient été analysés, que Sophie Pennec et ses collègues ont décidé de travailler sur les lieux de vie au cours du dernier mois précédant la mort. Et l'étude indique clairement que «le maintien à domicile se raréfie avec l'approche du décès». Quatre semaines avant la mort, seulement 29 % des gens sont hospitalisés. «Mais dans le dernier mois, la proportion de personnes hospitalisées va plus que doubler.» Et le parcours entre domicile et hôpital est alors souvent chaotique. «Quitter son domicile pour entrer à l'hôpital et y décéder est le parcours le plus fréquent (30 %). L'éventualité d'un départ de l'hôpital pour regagner son domicile est rare (2 %), tout comme les va-et-vient entre ces deux lieux (3 %)», découvrent les chercheurs. Bizarrement, les personnes transférées à l'hôpital vont recevoir des traitements à visée curative (62 %), alors que l'intérêt thérapeutique n'est pas évident. A l'inverse, chez ceux qui restent à domicile, très peu vont bénéficier de soins palliatifs.
Autre point soulevé, la solitude : «Décéder à domicile avec la seule présence de soignants est très rare (5 %), alors qu'un décès sur deux survient dans ces circonstances à l'hôpital.» Mais chez soi, on meurt plus souvent seul : 21% des personnes contre 7 %. Les chercheurs dressent finalement ce constat en forme de recommandation : «Notre société a tendance à médicaliser la fin de la vie, ce qui rend souvent l'hospitalisation incontournable. Penser la fin de la vie à travers un prisme plus social serait de nature à modifier ces résultats.»