Menu
Libération
Critique

Une cuisine arhumatisée

publié le 17 juillet 2015 à 18h16

Il faut bien l'avouer : le souvenir d'une mémorable cuite postpubère au rhum de cuisine nous a longtemps tenu éloigné de cet alcool des îles. Est-ce l'évocation récente des 250 ans d'existence des plantations Saint James dans ces colonnes ( Libération des 20 et 21 juin) ou, plus insidieusement, la contemplation d'un fameux baba au rhum dans l'assiette d'un camarade de bistrot ? Toujours est-il que l'eau-de-vie de canne à sucre nous titille le bec ces temps-ci. Parce que, non content d'être, les soirs de premiers flocons, un délicieux nectar de songerie quand il est vieux, le rhum fait partie de ces boissons transversales qui vous emmènent des zincs de rades les plus rugueux aux ors des bars de palace, en passant bien sûr par toute la scène montante des bartenders qui jonglent avec les cocktails.

Mais, surtout, le rhum peut être un très inspirant trait d'union entre le boire et le manger, comme, sous d'autres latitudes, le porto ou le madère. Trop longtemps, la cuisine associant vins et autres spiritueux a souffert, à tort, d'une image vieillotte où les rognons au madère ou la gelée au porto semblaient figés dans les incunables de la table bourgeoise d'un autre temps. Il faut rendre grâce au baba d'avoir favorisé un certain renouveau des nourritures imbibées en se déclinant désormais sous des formes inattendues, dont le «bobo au rhum» imaginé par le pâtissier parisien Benoît Castel ( Libération des 11 et 12 octobre 2014). «Le rhum va aussi bien dans une omelette que dans des muffins aux fruits, que pour braiser une pintade ou flamber des queues de langouste», écrit Frédérique Chartrand dans Cuisiner au rhum. Soit 160 recettes sucrées et salées, qui vont du «gâteau de patates douces au lait de coco» aux «jarrets de porc braisés aux pruneaux» associant le rhum ambré et un bouquet d'épices prometteur (girofle, badiane, muscade, cannelle). Plus inattendu est le «camembert au four, sirop d'érable, noix de pécan & rhum». Pour une tablée estivale, on pourra retenir une «salade de bœuf à la citronnelle» parfumée au rhum blanc, une «tatin aux tomates cerises» au rhum ambré et un «sorbet pomme, menthe & rhum». L'été peut aussi être l'occasion de préparer des gâteries pour les jours de froidure, comme des confitures de pêches, de tomates vertes et de cardamome, une gelée de pommes, un chutney pimenté mangue, poivron et raisin sec, le tout avec du rhum ambré.

Et comme l’été donne soif, il n’est pas question d’oublier l’horizon radieux des cocktails (à consommer à pied…), comme les classiques planteur, cuba libre et autres piña colada, le plus inattendu «freezy rosy» (grenade, citron et menthe), et pourquoi pas le grog anti-rhume, en cas d’accident de clim.