àParis, il faut souvent choisir : soit on privilégie le cadre, soit l’assiette. Alors qu’on s’était assez bien habitué à se régaler, serré comme une sardine sur une banquette ou le nez dans les pots d’échappement en terrasse, une nouvelle adresse vient changer les règles du jeu : Grand Cœur, ouvert en juin dans le Marais, se trouve dans une petite cour intérieure, pavée, un peu ombragée qui jouxte le Centre de danse du Marais. Pas de voiture, de la place, et, devinez quoi : c’est très bon.
Grand Cœur est le nouveau projet de Mauro Colagreco, chef italo-argentin basé à Menton, où il tient le Mirazur (deux étoiles au Michelin). Ce fin businessman, qui gère aussi un restaurant à Shanghai et un autre dans l'aéroport de Nice, cherchait un lieu dans la capitale depuis plus de deux ans. «Quand on a enfin trouvé cette adresse, on a tout de suite vu son potentiel», raconte-t-il. Il s'est associé à Julien Fouin, fondateur de plusieurs enseignes à succès dans le Marais (Glou, Beaucoup…), et zou, l'ancien tex-mex est devenu «une brasserie gourmande sans prétention», selon Mauro Colagreco. Sans prétention peut-être, en tout cas pas sans ambition. Colagreco a placé en cuisine le jeune Rafael Gomez, un Brésilien de 32 ans qui, avant de passer par le Mirazur, était resté plusieurs années à New York, notamment chez Michael Anthony, qui lui a enseigné cette fine maxime : «Je donne mes recettes à qui veut. Car ce qui compte, c'est le produit.»
Un mantra qu’on retrouve bien dans le menu du midi, servi en semaine à un prix assez imbattable, surtout quand on pense aux nombreux plats surgelés réchauffés au même tarif dans les bistrots alentours : 23 euros pour entrée-plat ou plat-dessert et 30 euros pour la totale. Le plat du jour qu’on a testé début août était absolument parfait : un filet de maquereau à la plancha (sur sa peau, des zestes de citron vert, du piment, des graines de sésame et du gros sel venaient corser l’affaire), sur du riz noir (crémeux comme un risotto), baigné d’un gaspacho de tomates savoureuses.
Si on s’en tient à la carte, l’addition est plus chère (une cinquantaine d’euros), mais la finesse et la sapidité des plats sont indéniables. En entrée, le rosbif d’Aubrac, tranché si finement qu’on dirait un carpaccio, est relevé par des graines de moutarde et de fines herbes au goût citronné. Autre option, les sardines entières surmontées d’un petit tartare de tomates et d’olives violettes. En plat de résistance, l’agneau, cuit quatorze heures au four sous vide, est aussi fondant que les patates douces avec lesquelles il est servi. Quant aux desserts, ils sont tout aussi irréprochables (parfait au chocolat blanc et au fruit de la passion, pêche melba et meringue tendre).
«C'est une cuisine de tous les jours, commente Mauro Colagreco. D'ailleurs, certains clients viennent ici tous les jours.» Pour l'instant, le restaurant, qui fait environ 180 couverts quotidiens, tourne essentiellement le soir. Mais le rusé Colagreco sait qu'avec une telle formule, sa petite entreprise ne devrait plus désemplir quand les Parisiens seront revenus de vacances.
41, rue du Temple, Paris IVe. Rens. : 01 58 28 18 90.