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Libération
C'est quoi le bonheur ? (2/15)

Emanuele Coccia : «Il n’y a pas de morale possible face à la félicité»

C'est quoi le bonheur ?dossier
Tout l’été, ils se relaient pour nous donner leur définition. Ce lundi, le philosophe Emanuele Coccia reprend le flambeau de Roger-Pol Droit avant de le transmettre à Carla Sozzani.
A Diamond Valley Lake, en Californie. (Photo David McNew. AFP)
publié le 6 août 2017 à 17h26

«Nous tous le connaissons, et pourtant personne n’est capable d’en donner un portrait sûr. Son visage semble s’estomper dans les souvenirs dès qu’il nous quitte. Nous dépendons de lui, beaucoup plus que de n’importe quelle drogue ou substance stupéfiante. Il nous tient en vie, comme l’oxygène ou la lumière du soleil. Et pourtant personne n’a trouvé les moyens de stabiliser sa présence parmi nous. Le bonheur est un animal sauvage que nous ne pourrons jamais apprivoiser ou maîtriser. Il est un être vivant différent de nous, dans ses désirs, dans ses comportements, dans ses habitudes. Indomptable. Nous sommes condamnés tous, constamment, à partir quotidiennement à sa chasse : il ne pourra jamais y avoir une «agriculture» du bonheur - un entretien régulier, prévisible, saisonnier, cyclique.

«Nous serions toujours les chasseurs-cueilleurs de notre félicité, prêts à parcourir le monde pour la trouver, prêts à guetter le plus insignifiant des signes pour la reconnaître partout, dans la voix d’un ami, la lumière d’un visage inconnu, un goût inexploré, une idée qui s’écoule soudain de la plume qui nous torture depuis des heures. Impossible d’accumuler du savoir, impossible d’avoir de l’expérience. Face au bonheur nous resterons toujours comme un adolescent face à sa première cuite - le souffle coupé, une joie qui n’arrive pas à trouver ses mots, le temps passé à épier la vie de l’autre. Il n’y a pas de morale possible face à la félicité, seulement une divination patiente et folle, sans règles, sans feuille de route, sans maîtres. C’est la leçon de Carla Sozzani. En grande divinatrice, exploratrice et pionnière, elle a transformé la mode en quelque chose de plus que la quête de l’élégance : elle en a fait l’expérience de divination collective de notre bonheur commun, qui peut se cacher partout, même dans le pli de notre robe.»