Il est allongé sur le sol de l’appartement de Francfort où il a emménagé avec son maître il y a quelques mois. Auparavant, ils habitaient dans l’immeuble mitoyen, qu’ils ont dû quitter à cause d’une dispute avec un voisin. D’un appartement à l’autre la vie reste la même : le matin, le maître travaille, le chien s’ennuie. Et comme tous les jours, ce 21 septembre 1860, à 8 heures, Arthur Schopenhauer se lève. Il prépare seul son petit-déjeuner, les cheveux blancs hirsutes, la main lourde sur les portions. L’amoureux du silence chantonne parfois, bourgeois conforme accroché avec passion au malheur. Le chien le suit de l’œil durant ses déplacements. Dans quelques heures, cet épagneul brun deviendra son héritier.
La journée se poursuit dans le confort de la routine. Comme la mort vient immuablement clore la vie, le chien sait qu'ensuite son maître ira travailler et écrire jusqu'à la fin de la matinée, suffisamment mais pas trop, pas comme cette starlette de Hegel qui n'a rien compris à rien. Ensuite, il jouera de la flûte, fuira une petite heure dans les replis des partitions de Rossini, cherchant certainement à dépasser dans la furie populaire des cavalcades du bel canto italien un contrepoint à la hauteur de vue de l'esprit allemand dont il se considère comme un des incontournables représentants après Leibniz et Kant - qu'il a par ailleurs copieusement critiqués. Immodeste ou lucide, son maître a écrit avoir découvert la solution au grand problème de l'existence, celle qui «