Paris, le vendredi 13 décembre 2041, dans un appartement sur les bords de Seine, un cri d’ado: «Maman, j’arrive pas à me connecter…». Ainsi débute Bug, dernière bande dessinée d’Enki Bilal parue mi-novembre aux éditions Casterman. Un superbe album graphique et sombre, reprenant les thèmes chers à l’auteur: univers hyperréaliste, technologie omniprésente, chaos généralisé, amour et violence…
(Extraits de la rencontre avec le peintre dans son atelier parisien. A lire dans son intégralité dans notre hors-série "Voyage au cœur de l’Intelligence artificielle")
Comme dans nombre de vos albums, il s’agit d’un futur proche, presque familier…
Oui, j’ai lu énormément de SF avec des récits qui vous propulsent dans des mondes parallèles dans des siècles et des siècles. Moi, j’ai une vision de l’humain qui intègre une part du passé qu’il ne faut pas éliminer; le présent qui est là, dirai-je, pour exciter l’imaginaire; et puis le futur. Mais un futur qui est en effet relativement proche ; ce qui fait que l’on est dans une zone où l’on peut poser des questions, lancer des pistes, inventer des aberrations même, mais des aberrations que l’on peut contrôler. Même si l’explication finale dépassera tout ce qui est humain…
La SF, et plus particulièrement votre SF, a-t-elle été rattrapée par la réalité?
Cela fait des années et des années que je le répète… Depuis les années 80. Je me souviens d’une critique qui m’avait énervé avec un article du genre «Bilal fait encore de la Science-fiction avec des thèmes connus». Il s’agissait du Sommeil du monstre, où j’évoquais un monde à venir qui me faisait peur à cause de la montée de l’obscurantisme religieux. Ce n’était pas de la science-fiction ! Mais bon, il y a dans la culture française, cette culture de l’écrit, que je suis le premier à aimer et apprécier; il y a cette idée que le futur est une zone légèrement méprisée. Car ce qui compte dans la littérature c’est le réel, le «moi, je» et le passé. Le futur n’est qu’un amalgame d’imaginaire. «Ça ne peut pas exister. Donc ça ne m’intéresse pas…» Pourtant aujourd’hui, cela existe et je suis sidéré quand je pense à ce qui se passe aujourd’hui et au potentiel de notre technologie. Depuis très longtemps, j’ai conscience qu’on est entré dans un monde de science-fiction même si le terme est impropre: la science est là, plus la fiction…