Une génération d'amoureux de l'île chassant l'autre, Ibiza a la mémoire courte. Sans remonter jusqu'à Hannibal, dont une légende assure qu'il est né ici sur l'îlot aux Lapins, les teufeurs qui viennent en été s'éclater dans ce haut lieu de l'électro-beat ignorent tout des hippies qui les y ont précédés dans les années 60. Et ceux-ci ne savaient à peu près rien de la première vague bohème et artiste qui a «découvert» l'île, quelques années avant la guerre civile. L'architecture rurale d'Ibiza fascinait alors l'avant-garde architecturale par son originalité. Et c'est à Ibiza que le philosophe allemand Walter Benjamin a trouvé un point de chute après son exil définitif, quelques semaines à la suite de la prise du pouvoir par Hitler. Il n'a pas eu le temps de voir le premier hôtel construit à San Antoni, où il logeait et où les tour-opérateurs déversent leurs clients, British et cheap, par dizaines de milliers. Ibiza était un paradis trop de gens l'ont écrit pour qu'on puisse en douter , mais celui-ci croule aujourd'hui sous le béton, les embouteillages et la vulgarité commerciale.
Contre ce constat incontestable, on plaidera néanmoins ici pour un bon usage d'Ibiza, du moins hors saison. Le visiteur n'y trouvera pas, très loin de là, toutes les commodités qu'il désirerait. «En fait, ici tout le monde hiberne», dit un des rares commerçants ouverts. Presque tout est fermé, à commencer par les hôtels et les bistrots et bien sûr les mégaboîtes de nuit