Nuon Phorn se souvient. Un jour, il y a des années déjà, il a essayé de quitter son village natal, de s'installer sur la terre ferme. «J'ai tenu deux jours. Puis je suis revenu.» La bouche édentée, le vieillard à la peau fanée par le soleil s'esclaffe. Doucement, c'est vrai, on s'habitue. Au clapotis des vagues, à ces relents de vase, aux jacinthes d'eau qui valsent, portées par le courant, à l'humidité sur la peau et au bourdonnement incessant des moustiques. Prek Toal devient alors une ville comme les autres. Avec ses quatre mille habitants, sa station-service, ses marchés et ses épiceries vagabondes, ses coiffeurs et ses tailleurs.
Au fil de l'eau, la vie suit son cours. A midi, des dizaines d'écoliers, pantalon bleu et chemise blanche, surgissent de l'école en bois. Cartable sur le dos, rame à la main, ils s'élancent sur leur pirogue instable. Agiles et gracieux, ils font la course, bondissent et s'éclaboussent. Baladées au gré des vagues, leurs barques tanguent avant de rejoindre le trafic de la ville, les bateaux des commerçants, des pêcheurs et des promeneurs. Une flopée de couleurs sur le lac brun clair.
Forêt inondée ou pétrifiée. Quatre-vingt mille personnes ont fixé les amarres, comme eux, sur le Tonlé Sap, la plus grande étendue d'eau douce d'Asie du Sud-Est et la plus atypique aussi. Car au fil de l'année, le lac grandit et rétrécit. A la saison sèche, de novembre à avril, il se jette dans le Mékong. Mais à la saison des pluies, lorsque l