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Libération
Reportage

Rendez-vous avec Caren

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On entre dans cette nuit par effraction. Un trou creusé dans la paroi d’un tunnel désaffecté. Un délit, passible d’une amende. On ne demande même pas l’autorisation au soleil...
par Anne-Sophie Pellegry
publié le 13 juin 2013 à 18h10

Plus qu’un laps de temps cloisonné entre deux lueurs, cette nuit-là est un lieu dans lequel on se perd facilement, comme dans un songe. Elle est un rêve dans lequel Paris n’a cessé de se refouler. D’abord, ses morts, ensuite ses vivants, lassés de surface surfaite. Ce rêve, ce sont les catacombes de Paris. En deux minutes, nous sommes à 20 mètres sous terre, de l’autre côté de la vie.

L’odeur est infecte. Un mélange d’urine sèche et de bombe aérosol. La paroi de calcaire blanche saigne. Un tagueur vient de signer en rouge. Cette entrée-là ressemble à un vieux squat étriqué.

Lucane* est accroupie à l’angle de la galerie et règle la flamme de sa lampe. Elle a vingt-huit ans. C’est une cataphile, une passionnée des catacombes. Ironie du sort, elle est biologiste et travaille sur les racines. Il ne se passe pas une semaine sans qu’elle descende sous terre. Autour de nous, des galeries apparaissent comme les tentacules d’une pieuvre.

La pierre est visqueuse, l’obscurité, vicieuse : Elle se dérobe en permanence au fur et à mesure que nous avançons, nous poursuit, avale nos ombres. Lucane marche vite. Ce trajet-là, elle l’a fait des dizaines de fois. A droite, à gauche, encore à gauche. Nous marchons dans ce dédale pendant trois heures qui n’en paraissent qu’une: C’est l’appel du noir qui nous fait avancer et oublier le temps.

Tout à coup, le couloir s’élargit: une grotte. Ici, on l’appelle la poste. Une boîte postale jaune, débris citadin, est posée sur une pierre surélevée, comme un