Elle avance, courbée, pieds nus et calleux dans la poussière. La vieille dame est hors d’haleine, mais sa fille, devant, ne ralentit pas. Elle a noué son voile à celui de sa mère pour ne pas la perdre et la traîne sur la route. Sur sa tête, en équilibre, un large baluchon : de la paille comme matelas, des pommes de terre à cuire sur la bouse de vache séchée. Il faut se dépêcher, car il n’y aura plus de place pour étendre les couvertures sur le sol. Ils sont des millions, en longues files pressées sur le bord de la route. Depuis leurs villages, ils ont voyagé jour et nuit dans des bus et des trains bondés. Une foule de paysans en tunique, en sari, en dhoti, aux sandales de caoutchouc qui claquent sur le chemin. Le petit peuple de l’Inde. Des pèlerins épuisés qui se massent à l’entrée d’Allahabad, le but ultime de leur long voyage. Au même moment, un gourou très en vue bloque l’aéroport de la ville afin de permettre à son jet privé d’atterrir.
Dieux, démons et immortalité
Célébrée tous les douze ans, la Maha Kumbh Mela, la «grande fête de la jarre», attire en masse les fidèles hindous. Selon les textes védiques, dieux et démons se disputaient une jarre contenant le nectar d'immortalité, et lors de ce combat céleste, une goutte du précieux breuvage est tombée sur Allahabad. Dans cette ville sainte, une immersion à la confluence des eaux du Gange, de la Yamuna et de la rivière invisible Saraswati lave le croyant de ses péchés et libère l'âme du cycle des réincarnations. Lors de certaines dates, le r