Arles est dans le rétroviseur depuis à peine un gros quart d’heure et la nationale 572, qui perfore la petite Camargue d’est en ouest, laisse déjà triompher un vide mélancolique et puissant. Des rizières, un panneau pour le camping Crin blanc, le bruissement des sagnes, ces roseaux utilisés pour les toitures des cabanons de gardians, qui ondulent sous le mistral pour ressembler à une houle sur l’océan. Rien d’autre. Si, cette fulgurance aperçue mille fois à toute vitesse, quelques kilomètres avant Saint-Gilles (Gard) : une haie de cyprès épais d’où dépasse une drôle de cheminée en pierre à section carrée.
Il suffisait de s’arrêter une fois, une seule. Pourquoi ne l’avait-on jamais fait avant, malgré l’intrigant panneau quadrupède avec sa flèche, la belle patine de rouille, le pictogramme années 60 annonçant «les Cabanettes» et ses trois crânes étoiles bordées de néons la nuit ? Mystère. Surtout, grave erreur. Car au milieu de ce nulle part, la Camargue a fait appel à la nature pour l’aider à planquer son secret moderniste sixties le mieux gardé.
Des demi-cercles concentriques d’arbres camouflaient en fait jalousement un bout de Palm Springs dans son désert d’étangs. Une époustouflante bâtisse de 1967, faite de béton, de pierre beige et de verre, à l’auvent en demi-lune, abritant dix baies vitrées du sol au plafond, encadrées de montants de bois verni. A l’intérieur, le temps s’est figé : mobilier d’un restaurant qui n’a plus servi de repas depuis 2005, cloisons de bois à clair