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Voyage organisé

Et si on se barrait sur Mars ?

Grandes destinationsdossier
Plus grand chose à attendre de notre planète... Alors à la veille du week-end, on se permet de remettre en ligne cet article publié il y a quelques années. Bon voyage.
(El coleccionista de instantes )
publié le 4 novembre 2013 à 12h32
(mis à jour le 9 novembre 2016 à 10h30)

Cela commence par un lever de soleil sur l’Europe, suivi quelques minutes plus tard d’une aube sur le continent américain, puis l’Asie à son tour se réveille… La Terre vue de la station orbitale GreatAgain – qui depuis un an sert de base de départ aux voyages touristiques pour la Lune, Mars et les satellites de Jupiter – offre un spectacle unique sur notre planète bleue. La luminosité est extraordinaire, la visibilité parfaite et l’on resterait là pendant des heures à contempler tous ces matins du monde. Mais un voyage organisé demande de l’organisation, nous rappelle notre guide. Et l’on quitte à regret l’immense hublot panoramique pour rejoindre les files d’attente qui se forment devant les portes des navettes en partance.

Demandez le programme

«L'escapade martienne, le must du voyage interstellaire, un circuit organisé par Nomade Space Aventure…». En attendant le décollage, on relit le programme de ces vacances qui ont éclusé notre crédit CP et RTT des deux années à venir. «Près de quatre mois de séjour, dont 90 jours passés en caisson cryogénisé pour les trajets aller et retour (en navette A 429, classe économique). Jours 1 à 5 : arrivée à la base internationale Oxygène, acclimatation à la gravité reconstituée, visite des grandes géodes de vie, du musée de la colonie. Après-midi libres. Jours 6 à 12 : départ en Rover 4X4 pour le canyon de Candor Chasma, sorties et ascension. Nuits en couchette double dans le véhicule, retour à Oxygène. Jours 13 à 16, visite de l'aquarium extramarin et des sites archéologiques de N'yaar. Jours 17 à 19 : aller-retour sur Phobos, une des deux lunes de Mars. Jours 20 à 23 : programme libre. Pour les adultes, virée dans le quartier chaud de Venus Ville; pour les familles, le Centerpark Bradbury et sa balade sur les canaux. Rencontre avec des Martiens… C'est sur cette dernière promesse incongrue que l'on sombre dans le sommeil cryogénique, en rêvant de princesses et de soucoupes venues d'autres mondes.

Réalité et mythes

L’arrivée et le vol géostationnaire autour de la planète sont à la hauteur de notre attente:un globe orange flottant dans le vide, de longues zébrures violettes, le reflet des cratères immenses luisant au soleil… On ne décrit plus Mars, la planète a suffisamment été cartographiée et filmée en 4D : des déserts sans vie, des fleuves asséchés, une atmosphère irrespirable composée de 95% de dioxyde de carbone… Avec des températures oscillant entre les -100 C° la nuit et +15 dans la journée, des vents capables de se muer en redoutables tempêtes de sable et ces milliards de particules en suspension dans l’air raréfié, colorant le ciel d’une teinte rouge rosée… Voilà pour la réalité géologique qu’il faut compléter avec la boîte à rêves et à fantasmes dont déborde Mars depuis plus d’un siècle : les Martiens des Chroniques de Ray Bradbury, ceux d’Edgar Rice Burroughs ou de H. G. Wells ; les petits hommes verts de Tim Burton dans Mars Attack, les mutants de Totall Recall, et tant d’autres...

Première sortie

Les premiers jours sur la base Oxygène sont plaisants mais ne diffèrent guère de ceux passés dans des centres de loisirs sous-marins ou des hôtels sous dôme – immenses atriums, chambres bulles, sculptures holographiques… Et il faut attendre le départ vers le canyon de Candor Chasma, en plein cœur de la Valles Marineris, pour réaliser pleinement que l’on n’est plus sur la Terre. On a beau jouer les blasés, la première sortie «à l’air libre» martien est l’une des expériences les plus inoubliables que l’on ait connue.

Ce qui frappe en premier, est la démesure du relief. Malgré sa taille modeste – Mars est deux fois plus petite que la Terre –, tout ici est démesurément grand. Le mont Olympus avec ses 21 229 mètres d’altitude est le plus haut pic du système solaire; les canaux, visibles depuis la Terre, s’étendent sur plusieurs milliers de kilomètres de long; et Valles Marineris, notre lieu de «balade», ramène les canyons terrestres à de dérisoires rigoles desséchées. Cette gigantesque balafre qui défigure la surface de la planète rouge est en fait un vaste réseau de vallées encaissées qui s’étendent d’est en ouest au niveau de l’équateur sur une distance de plus de 4 000 km. La profondeur y atteint par endroits 10 kilomètres. C’est dans l’une de ces gorges que l’on fait notre première sortie après s’être fait secouer pendant huit heures sur des pistes défoncées.

Les combinaisons de Kevlar qui paraissaient si lourdes dans l’habitacle du rover semblent avoir disparu (la gravité martienne est le tiers de celle de la Terre) et l’on se met à sauter comme des enfants en faisant voler autour de nous des nuages de poussière. Le ciel est violet, la terre rouge. On se croirait dans un tableau de Dali. Au-dessus de nous, deux lunes, rondes comme des oranges.

Le visage de Mars

Sur le chemin du retour on va visiter le fameux visage de Mars. Le 25 juillet 1976, l’orbiteur Viking 1 survolait une fine bande de terrain qui sépare les hauts plateaux cratérisés de l’hémisphère sud des terrains bas et lisses de l’hémisphère nord. Une colline ayant pris l’apparence d’une face humaine sous l’effet d’un jeu d’ombre et de lumière, on cria au miracle et le cliché fit le tour de la Terre. Les illuminés et complotistes de tous poils y virent la preuve d’e l’existence d’une civilisation martienne… Il y a une dizaine d’années, peu après les débuts de la colonisation, un riche excentrique obtint l’autorisation d’ériger une sculpture géante dans le désert martien à l’image de ce fameux visage. C’est cette immense statue que l’on découvre au soleil couchant. Impassible, il fixe les étoiles.

Et ils sont où les Martiens?

Dernière étape de notre escapade: le Centerpark Bradbury (on a laissé les célibataires salivant partir la veille vers le quartier rouge de Vénus Ville, ses holoputes et ses robots sexuels). Dans un décor kitschissime, à bord de délicates jonques en forme de larme, on glisse le long des canaux aux eaux turquoise entre des palais de stuc et de faux marbre évoquant d’antiques civilisations martiennes. Des animations holographiques font apparaître des soucoupes, de gracieuses créatures éthérées et les inévitables petits hommes verts.

On quitte les embarcations et l'on fait quelques pas le long de la berge alors que le soleil commence à se coucher dessinant de longues ombres pourpres. Et les Martiens dont parlait la brochure? «J'ai toujours voulu voir un vrai Martien, ils sont où les Martiens, insiste un garçon de 7 ans à nos côtés. Où ils sont, p'pa ? Tu avais promis». «Les voilà», dit le père en hissant son fils sur ses épaules et en pointant le doigt vers le canal où se réfléchissaient nos silhouettes.

On s’approcha pour contempler leurs regards dans les rides de l’eau durant un long, long, moment de silence.