Le train s’est finalement ébranlé et, dans la cabine lambrissée d’orme et de cerisier, on repasse mentalement en revue les dernières vingt-quatre heures. Le réveil dans l’A380 de la Thai Airways, peu avant d’atterrir à Bangkok. L’hôtesse recoiffant son chignon rougi par l’aube traversant les hublots. Les manifestants à moto bloquant Siam Square en agitant des petits drapeaux, et l’arrivée in extremis à la gare de Hua Lamphong, ressemblant étrangement à celle de Turin.
Vingt ans déjà que l'Eastern & Oriental Express relie Bangkok à Singapour, et plus longtemps encore que l'on rêve d'embarquer dans un train à remonter le temps. Construits en 1971 pour le Silver Star néozélandais, ses wagons ont été remodelés par des maîtres de la marqueterie, de la tapisserie, du travail du cuivre… Mais voilà que quelqu'un frappe à la porte. «Désolé d'interrompre votre rêverie, dit le butler, mais c'est l'heure des cocktails».
Une heure plus tard, le mari de la sosie de Glenda Jackson, qui roule les «r», s'excuse de nous abandonner, et on lui répond que nous serons inévitablement réunis dès le premier meurtre, dans ce même wagon-bar. A quoi il rétorque : «Je crains, hélas, que mon épouse soit la première à être assassinée, vu son comportement effronté.» Les Belges élégants avec qui l'on dîne ont laissé leurs enfants au Pullman King Power de Bangkok, «dont la piscine est grande et très bien surveillée», précise la femme qui poursuit : «J'aime cet hôtel pour