Un cri guttural déchire la jungle. C’est celui des singes hurleurs, sur les pentes du volcan Maderas. On les distingue, silhouettes sombres et mouvantes parmi les branches d’arbres géants, comme le guanacaste ou le ficus. A travers la forêt tropicale, le sentier de pierres et de racines conduit notre petit groupe vers un point de vue dégagé. Face à nous, triangle minéral parfait, l’autre volcan de l’île, le Concepción, semble flotter sur l’eau translucide. Avec ses deux cratères jumeaux ancrés au milieu du lac Nicaragua, l’île d’Ometepe, dans le sud-ouest du pays, incarne avec force ce mélange de lave et d’eau qui fait la singularité du Nicaragua.
La Ceinture de feu du Pacifique, cette ligne de volcans qui entoure l’océan du Chili à la Nouvelle-Zélande en passant par l’Alaska, a semé dans la région une vingtaine de sommets. Quelques-uns sont actifs comme le Concepción (1 610 mètres) ou le San Cristóbal, le plus élevé avec ses 1 745 mètres. L’élément liquide, lui, est omniprésent avec les lacs Managua et Nicaragua - l’une des plus grandes étendues d’eau douce d’Amérique latine -, les lagunes du littoral atlantique et les nombreuses rivières qui constituent souvent les seules voies navigables de l’est du pays. Sans compter, bien sûr, les 900 kilomètres de côtes le long des océans Pacifique et Atlantique.
En contemplant le Concepción, on imagine facilement la naissance des légendes engendrées par ce sommet parfait coiffé d'un panache de fumée. «Pendant longtemps, les îliens ont eu peur des volcans. On les pensait habités par les duendes, ces esprits malins qui volent les enfants. Jusqu'à il y a une soixantaine d'années, personne ne montait au sommet, encore moins avec des enfants», confie Elio Baratona, guide à l'allure aussi longiligne et sèche que sa machette. Le lac a également sa part de mythe. Elle est liée au fleuve San Juan qui communique avec l'Atlantique. Jadis, des pirates le remontaient pour venir piller la riche ville coloniale de Granada, située sur la rive nord-ouest. Cette «route» fut aussi empruntée par les chercheurs d'or américains, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Avant la construction d'une voie ferrée transcontinentale, ils rejoignaient par bateau San Francisco depuis New York en traversant l'Amérique centrale par le lac Nicaragua, un étroit corridor de terre séparant le lac de l'océan Pacifique.
Des requins bouledogues ont également remonté le río San Juan. Leur population a été décimée dans les années 60 et 70 lorsque des droits de pêche ont été octroyés à des navires asiatiques. De l’avis de certains pêcheurs, il existerait toujours quelques requins. Encore un conte…
Requins bouledogues
Le mythe le plus fort reste celui d'un canal transocéanique. La traversée de l'isthme centraméricain via le lac de Nicaragua fut envisagée dès le XIXe siècle, avant le percement du canal de Panama qui vit le jour en 1914. Une éruption du volcan Concepción mit fin au projet. Aujourd'hui, le président Daniel Ortega a remis l'histoire en marche. En 2013, son gouvernement a accordé une concession à un investisseur chinois pour construire un projet pharaonique, long de 286 kilomètres. Il pourra accueillir les navires les plus lourds, de 366 mètres de long et 49 mètres de large, qui ne passent pas dans le canal de Panama. Les résultats des études de faisabilité sont attendus à la fin du printemps pour un début des travaux à la fin de l'année. «Je n'y crois pas, assène depuis Managua, Antoine Joly, ambassadeur de France au Nicaragua. De nombreuses questions économiques et techniques n'ont pas été réglées. Il y a beaucoup d'amateurisme.» Le canal, nouveau serpent de mer à engloutir dans les eaux du lac pour nourrir les requins bouledogues ?
Changement de décor. Sur la terre ferme cette fois, au nord-ouest du lac, une route grimpe vers les volcans Masaya et Nindirí, traversant d’anciennes coulées de lave et des prairies de graminées dorées semées de rochers noirs en basalte. De loin, on aperçoit des volutes de gaz qui se mélangent aux nuages. Près du sommet, à environ 500 mètres, tel un immense chaudron, le large cratère Santiago crache une fumée chargée de soufre qui pique les yeux et irrite la gorge. Dans une atmosphère mystérieuse, quand le vent pousse un peu les nuées de gaz, on distingue les pentes abruptes, brunes et jaunâtres, qui s’enfoncent dans les entrailles de la terre. Une colonie de chocoyos, des perroquets verts, y nidifie en fin de journée.
A notre droite, une croix monumentale semble veiller sur le cratère. Erigée au XVIe siècle par le père Francisco de Bobadilla, gouverneur des Indes, elle visait à exorciser ce qui fut un site sacrificiel à l'époque précolombienne. Dans le village de Nindirí, à quelques kilomètres au pied du volcan, on égorgeait des jeunes filles sur une pierre sacrée avant de les transporter puis de les jeter dans l'abîme fumant. A côté de Santiago, quatre autres cratères éteints dessinent un paysage tourmenté, tout en relief, comprenant une trentaine de tunnels de lave, certains longs de plusieurs kilomètres. Bruissements d'ailes, petits cris aigus… Casque sur la tête et lampe de poche en main, on y pénètre au crépuscule quand les chauves-souris les délaissent pour partir chasser.
Effluves de soufre
A l’extérieur, les lignes de crête donnent là aussi à contempler un horizon semé de volcans, de lacs et de lagunes.
Le Cerro Negro. Photo Ben Beiske. Flickr
On aperçoit enfin le Cerro Negro («la colline noire»), le plus jeune des volcans nicaraguayens, âgé de 164 ans. Cette masse de basalte, brune et brute, haute de 728 mètres, est vierge de toute végétation. Quarante-cinq minutes suffisent pour atteindre son sommet, balayé par le vent, et sentir son cœur battre dans les effluves de soufre. Cerro Negro est joueur. On peut surfer sur ses pentes extérieures, le Pacifique en ligne de mire. Le feu et l’eau. Encore.
Y aller
Seuls des vols avec escale desservent le Nicaragua depuis la France. Liaisons avec Air France via Panama City ou avec American Airlines et US Airways via Miami. De préférence de novembre à avril, pendant la saison sèche
Avec l'esprit tranquille Le Nicaragua pâtit d'une image violente, héritée de la guerre civile de la fin des années 70 au début des années 90, qui ne correspond plus à la réalité. Selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, c'est le pays le plus sûr d'Amérique Centrale, avec le Costa Rica.
A la bonne saison De préférence, de novembre à avril, pendant la saison sèche avec une température moyenne de 26°C. Décalage horaire : -8h en été, -7h en hiver
Avec un guide Nomade Aventure propose 3 circuits accompagnés au Nicaragua, dont un en combiné avec le Costa Rica. « L'aventure bio ! », 100% Nicaragua, invite à une découverte active du pays (à pied, à cheval, en kayak et à vélo) en 15 jours. Etapes sur l'île d'Ometepe, aux volcans Masaya et Cerro Negro, dans les villes coloniales de Granada et Léon, et dans le nord montagneux du pays. Hébergements familiaux, communautaires et écologiques. A partir de 2250€.
Rens.: http://www.nomade-aventure.com/
A lire Guide Nicaragua, Ulysse, septembre 2011. Muchacho de Lepage, l'histoire contemporaine du pays en bande-dessinée, chez Dupuis.
En savoir plus L'Intur, l'Office du tourisme du Nicaragua, n'a pas de bureau en France. On peut consulter son site en anglais. www.visitnicaragua.us