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Chérissable Pondichéry

Grandes destinationsdossier
L’ancienne colonie française, dont le patrimoine bâti tombe en ruine, mise sur la nostalgie pour tenter de relancer le tourisme et son économie.
Jours tranquilles ˆ Pondichery... (David Lefranc)
par Michel Fonovich, Envoyé spécial à Pondichéry
publié le 13 février 2015 à 17h06

La pluie tombait dru en cette fin de mousson. C'était le samedi 29 novembre et Kevin déjeunait chez sa grand-mère à l'angle de la rue Dumas et de la rue de la Caserne, à Pondichéry. Aujourd'hui, on dit Puducherry. Il se rappelle : «Soudain, il y a eu un bruit bizarre, quelque chose de sourd que l'on n'avait jamais entendu avant. Ma grand-mère est allée voir à la fenêtre. L'hôtel de ville venait de s'écrouler…» Pour Kevin, Franco-Pondichérien dont l'arrière-grand-père Edouard Goubert exerça le mandat de maire, mais aussi pour tous les autres Pondichériens, ce fut un choc, bien que la catastrophe fût prévisible : ce bâtiment vieux de 144 ans était déserté depuis deux ans. Sans cette grande bâtisse blanche édifiée par les Français face à la mer, non loin de l'église Notre-Dame-des-Anges et de la statue de Jeanne d'Arc, Pondichéry ne sera plus vraiment Pondichéry. Quant au souvenir de cette période, encore entretenu par la présence d'élégantes résidences coloniales le long de rues calmes aux trottoirs soignés - une rareté dans le pays -, il s'estompe un peu plus avec la disparition de ce bâtiment emblématique. D'autres avant lui sont tombés, car si le climat n'a pas son pareil pour ronger les murs, il peut également compter sur la complicité d'autorités négligentes et de promoteurs cupides. Ainsi, dans l'indifférence générale ou presque, disparaît depuis une dizaine d'années, lentement mais sûrement, un inestimable patrimoine bâti datant du XIXe siècle.

Cession. Tout a commencé avec Colbert. Le ministre de Louis XIV fonde en 1664 la Compagnie française des Indes orientales. Il s'agit de tenir la dragée haute sur le terrain aux Portugais, Hollandais et autres Anglais, tous attirés par les promesses d'un commerce profitable. En 1674, un dénommé François Martin crée un comptoir commercial sur l'emplacement d'un simple village. Miracle, au siècle suivant, on ne parle plus que de la brillante ville de Pondichéry dans les salons parisiens. Tout le mérite en revient à Joseph-François Dupleix, son flamboyant gouverneur. Son retour forcé au pays natal précède de quelques années la fin de la capitale d'un empire éphémère. Trop contents d'être débarrassés d'un adversaire redoutable, les Anglais finissent par s'emparer de la ville en 1761 avant de la raser. La nouvelle Pondichéry, élevée sur les ruines de la première, redevient un banal comptoir, une petite ville de province sans ambition. Paris en récupérera le contrôle total en 1816.

Le monde bouge, les empires s'écroulent. En 1956, la France, en signant un traité de cession, replace Pondichéry dans le giron de l'Inde, tandis que le Premier ministre Jawaharlal Nehru émet le vœu qu'elle reste une «fenêtre ouverte sur la France». A ce titre, des institutions culturelles et éducatives françaises sont maintenues, dont l'Ecole française d'Extrême-Orient, l'Institut français, un collège et un lycée. Parallèlement, 7 000 familles indiennes optent pour la nationalité française.

Doctorant spécialiste des établissements français en Inde orientale au XVIIIe siècle, Raphaël Malangin supporte difficilement deux choses à Pondichéry : cuire à l'étouffée entre mai et juin et, pire encore, assister à la régulière destruction du patrimoine architectural : «Il y a dix ans, on recensait 1 800 édifices historiques. On en compte à peine 900 aujourd'hui. La spéculation va bon train. On vend du vieux pour faire du neuf. Quand on ne casse pas, on monte des étages au mépris de l'harmonie et de la personnalité de la ville. Il y a de beaux projets de restauration, mais ils ne concernent que quelques hôtels.»

Bougainvilliers. Ashok Panda, de l'association Intach (Indian National Trust for Art and Cultural Heritage), essaye de limiter les dégâts. D'un côté du canal, la ville indienne, la «ville noire» où , à grands coups de klaxon, voitures, motos, tuks-tuks et charrettes s'affrontent pour fendre la cohue. Les trottoirs ne sont que plaies et bosses. Dalles éventrées et monticules de gravats ou d'ordures se succèdent au ras des échoppes de tous genres, serrées les unes contre les autres. Tout le monde s'affaire dans cette Inde besogneuse du XXIe siècle. De l'autre côté, la «ville blanche», où à l'ombre des bougainvilliers, frangipaniers et manguiers se pavanent des maisons couleur moutarde aux persiennes de bois et aux toits en terrasse bordés de balustrades.

«Notre mission s'apparente à celle des Bâtiments de France, confirme Ashok Panda. Quand un millionnaire de Bombay, Bangalore ou Madras achète une propriété, on lui soumet des propositions d'aménagement respectueuses du style…» Selon lui, l'heure est à la prise de conscience. En témoigne, après l'éboulement de la mairie, la mise en ligne instantanée d'une pétition exigeant sa reconstruction à l'identique.

Olivier Litvine, le nouveau directeur de l'Alliance française, compte créer des séjours touristiques associant balades historiques, séances de cinéma, cours de cuisine et cours de français. Il explique qu'ici, le français est un atout pour trouver du travail, une langue bien vivante aux côtés du tamoul et de l'anglais. Pondichéry est une toute petite ville à l'échelle indienne - 600 000 habitants dans l'agglomération, contre 8 millions pour sa voisine Chennai (Madras). Elle sait qu'elle ne sera ni Bangalore, avec l'informatique, ni Bombay, avec la finance ou le cinéma. Alors elle joue la carte tricolore. Les guides touristiques du Rajasthan viennent effectuer des séjours linguistiques «en immersion».

Côté employeurs, plusieurs entreprises, dont Tata Consultancy Services, Renault-Nissan ou des centres d’appels recherchent des francophones. Une ville qui se cherche une seconde jeunesse.