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Voyage

High Desert, c’est arty pour un tour

Avec ses villes fantômes et ses paysages monumentaux, l’aride plateau californien est une source d’inspiration pour de nombreux artistes qui y sèment leurs installations en plein air.
L'oeuvre d'art "Untitled" ou "Behind the Bail Bonds" de Sarah Vanderlip, dans le High Desert Test Sites, un parcours artistique de "land art" à Joshua Tree. (Katie Callan)
publié le 27 février 2015 à 17h26

C’est un petit autel mi-vaudou mi-hippie. Il comprend une vieille santiag, des morceaux de troncs secs de cactus, des bougies votives mexicaines, une bouteille de Mississippi Mud, au pied d’une guitare haute de 2 mètres.

Posé en face de la porte turquoise de la chambre numéro 8 du discret Joshua Tree Inn Motel, l’insolite reposoir célèbre une vie, et surtout une mort : celle de Gram Parsons, folkeux-rockeur au sein des mythiques Byrds ou des Flying Burrito Brothers, et qui eut, le 19 septembre 1973, à 26 ans, la mauvaise idée de forcer plus que d’habitude sur l’alcool et la morphine dans ladite chambre.

Rien de plus banal, objectera l'esprit blasé, qu'un décès de rockstar dans un motel de bord de route. Certes. Mais nous sommes dans le High Desert californien, époustouflant plateau aride, à deux grosses heures à l'est de Los Angeles, étirant son quadrilatère d'étrangeté entre Landers, Joshua Tree, Twentynine Palms et Yucca Valley. Et ici, même la mort a un aspect étrange: tombé amoureux du coin, Parsons voulait y être incinéré, contre l'avis de son père. Le manager du défunt, fidèle à ses dernières volontés, se chargea donc de piquer le cercueil à l'aéroport de L.A., de le rapporter au milieu du parc national de Joshua Tree et d'y déverser 15 litres d'essence pour une crémation do it yourself. Une énorme explosion plus tard, la légende reposait en paix.

La fin apocalyptique de l’inventeur de la Cosmic American Music n’est qu’une anecdote parmi les centaines dont regorge cette région, enclave de liberté et de bizarre, reflet et revers de la médaille du rêve californien.

Chasse au trésor. En remontant le long serpent de la Highway 62, cordon ombilical traversant ces desert towns, on découvre la première mise en bouche de notre very good trip subjectif : Yucca Valley, et ses 20 000 habitants. Elle abrite le projet de land art collectif High Desert Test Sites (HDTS), lancé il y a une douzaine d'années par l'artiste Andrea Zittel. Avec un canevas monumental en perpétuelle mutation (une œuvre n'appartient à personne, et finit par être rendue à la nature au fur et à mesure de son érosion), HDTS se veut volontairement mystérieux : sa carte des installations in situ donne des indications assez lâches pour créer un côté chasse au trésor conceptuel sur les pistes poussiéreuses.

Sur le parcours comprenant neuf sites, l'esthète pourra croiser dans son errance jubilatoire la cabane mitraillée de Eames Demetrios (petit-fils des designers Eames), le miroir d'alu poli haut perché de Sarah Vanderlip, le «Musée mondialement connu du tricot au crochet» de Shari Elf, ou l'hallucinée maison triangulaire et multicolore de Halsey Rodman, pour laquelle l'artiste dit joliment avoir voulu «extraire les couleurs de l'air», piquée dans un écrin d'éboulis organiques ocres et de cactus.

Tout à côté, une ville fantôme de western, Pioneertown, est adossée à un intrigant saloon, dont il faudrait être fou pour ne pas pousser la porte. En pénétrant chez Pappy and Harriet's, l'anonyme devient sublime. Depuis que cet ancien bar à bikers a été repris en 2004 par Linda, New-Yorkaise travaillant sur des tournages dans le décor du Far West attenant, l'ambiance musicale a radicalement changé : les artistes les plus cotés, potes de Linda, s'y produisent pour pas cher. Sur la microscène, enveloppée d'odeurs de barbecue au bois de mesquite, il n'est pas rare de tomber dans un décor de bric, de broc et de récup du désert sur Julian Lennon, Hanni El Khatib ou les Flaming Lips… La nourriture y est très correcte et, au mur, la photo du rappeur Ice Cube, en poncho et à cheval pendant le shooting de son album I Am the West, vaut à elle seule le détour. A côté, une plaque d'immatriculation customisée se lit comme un mantra à ne jamais trahir : «Keep Joshua Tree Weird» («que Joshua Tree reste bizarre»).

Expérience déglingo. A une vingtaine de kilomètres, Joshua Tree, voilà qui tombe bien, est la prochaine destination. Joshua Tree… Comme l'album de U2? Oui et non : même arbre de Josué (LE cactus de la région), mais photo de pochette shootée à 400 kilomètres de là, à Darwin. Plutôt comme la petite ville ayant pris le nom de l'époustouflant parc national sur lequel elle veille, avec ses rochers dessinant des peaux géantes de shar-peï à perte de vue, à la nuit tombante.

L'incontournable trek effectué, retour à l'art : les pistes tortueuses sont un nouveau sanctuaire en plein air qui inspire, et fournit souvent, la matière première à toute une scène de desert artists. Le plus connu d'entre eux se nomme Noah Purifoy. Décédé en 2004, celui qui cofonda le site de folk art réputé des Watts Towers à Los Angeles a aussi aimé ce coin désolé. Au point de lui offrir un musée gratuit : des hectares entiers de constructions grinçantes, entièrement réalisées en matériaux trouvés et recyclés en sculptures ou bâtiments branlants. En juin, le Lacma (musée d'Art du comté de Los Angeles) lui offrira une expo posthume au nom résumant parfaitement ce génie exalté : «Junk Dada», «le dadaïste du rebut».

Pour rester dans la thématique «désert et autres cachotteries», finir le voyage dans un hôtel serait une trahison. L'ultime bon plan se mérite, sur les collines, au nord de Joshua Tree. Terminus Hicksville. Carrément introuvable, ce village funky et rétro de caravanes entretient le mystère : pas d'adresse, mais un itinéraire d'accès envoyé par mail pour découvrir, sous les étoiles, ses caravanes accueillant les candidats à une nuit vraiment alternative. Glauque ? Non. Car Morgan Night, notamment clippeur de Joan Jett dans la «vraie» vie, a fait les choses avec goût et humour weirdo: la piscine fifties est entourée de faux gazon, il y a un jacuzzi sur le toit et ses caravanes sont à thème - dont une dédiée à son pote Lux Interior, chanteur des Cramps, mort en 2009 -, histoire de transformer une nuit dans le désert en expérience déglingo-raffinée sous les étoiles.

De Yucca Valley à Landers, de Joshua Tree à Twentynine Palms, il y a encore bien des choses à découvrir (le dôme à ovnis Integratron, les projets artistico-architecturaux du génial Robert Stone…), dont la litanie pourrait s’égrener à l’infini. C’est ce qui le rend si magnétique, ce High Desert, et fait devenir tellement accros ceux qui tombent sous ses charmes cachés.