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Libération
Reportage

Richelieu, cité cardinale

Courts séjours en Francedossier
La ville idéale pensée par l’éminence grise du roi Louis XIII a perdu son château mais conserve sa superbe, tout en symétrie.
La Place du marché et l'église Notre-Dame. (Marc CHAUMEIL)
publié le 6 mars 2015 à 17h46

Ne pas se tromper de chemin. Il faut entrer dans Richelieu (Indre-et-Loire) de face, par l'une de ses portes monumentales. Traverser deux places carrées aux proportions parfaites. Emprunter la rue principale d'une solennité absolue. On lève les yeux vers les façades austères des vingt-huit hôtels particuliers qui la bordent et on finit par se dire : «Mince…»

Richelieu, voulu en 1631 par le cardinal éponyme et dessiné, selon ses directives, par l’architecte du Palais-Royal, Jacques Lemercier, est impressionnant. Les murs d’enceinte sont toujours là avec leurs douves et leurs entrées somptueuses, fait assez rare en France. La géométrie rectangulaire de la ville est parfaite. Son parc est superbe.

Mais voilà : le château qui couronnait le tout, lui, n'est plus là. Un marchand de biens du XIXe siècle, nommé Alexandre Boutron et pas vraiment considéré comme un bienfaiteur de la commune, l'a démonté à partir de 1805 et vendu pierre par pierre. Non sans avoir d'abord coupé l'adduction d'eau de la ville au mépris du système hydraulique exceptionnel qui avait été conçu pour l'ensemble.

Mélancolie. Est-ce l'absence du château qui rend aujourd'hui le destin touristique de Richelieu moins évident que celui de ses voisins ? Peut-on attirer du monde quand on ne possède pas l'une de ces grosses meringues à tourelles qui ponctuent le Val de Loire ? Peut-on séduire quand tous les bâtiments, quoique protégés, ne sont pas restaurés et ripolinés, quand on voit parfois des carreaux cassés, des enduits qui craquellent, des boiseries usées ? Peut-on plaire dans cet entre-deux ? Et pourquoi pas…

L'endroit porte suffisamment de beauté et de mélancolie pour valoir le détour. Il porte surtout une histoire. Et quelle histoire… On la découvre à l'Espace Richelieu, ouvert depuis 2010 dans l'un de ces hôtels particuliers qui font la majesté de la ville. L'histoire est celle d'Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu, un type qui a une réputation épouvantable depuis qu'Alexandre Dumas en a fait le méchant dans les Trois Mousquetaires. Chargé de l'accueil de l'espace, Olivier note que les visiteurs lui disent souvent : «Richelieu, je ne l'aime pas du tout.» Il leur répond qu'après la visite, ils vont changer d'avis. Ce qui n'est pas faux.

D’accord, le cardinal était un politique sans scrupules, avec les ambitions classiques de l’époque : asseoir son pouvoir, faire la guerre. Il avait aussi, autre classique banal, le projet d’agrandir et d’embellir la grosse maison de ses ancêtres.

Mais l'histoire devient moins courante quand le puissant prévoit d'adjoindre au château et à son parc rien moins qu'une ville. Une cité dite «idéale» de surcroît, tracée selon une géométrie parfaite et où tout fait sens. En particulier ce choix hallucinant : la création de deux places symétriques, la place Royale et la place Cardinale. Là où, d'ordinaire, le roi caracole en statue équestre au milieu d'une seule et unique centralité, les deux puissants ont chacun la leur, sur un pied d'égalité. Inédit.

Ce n’est pas la seule chose curieuse. Non seulement Louis XIII a autorisé Richelieu à créer sa ville, mais le souverain lui accorde qu’elle soit dispensée d’impôts. Voilà qui doit aider artisans et foires à s’y installer. Pour le haut du panier, Richelieu a sa méthode : il offre les terrains de la grande rue à ses obligés (membres du Conseil, ministres) avec contrainte pour eux de bâtir les hôtels particuliers, dans les règles d’architecture de Lemercier. Deux ans après la mort du cardinal, la plupart de ces hôtels sont revendus par leurs propriétaires au quart de leur prix.

Collectionneur. Dans le Richelieu d'aujourd'hui, la place Cardinale est devenue la place du Marché. Un réaménagement récent plutôt réussi a dégagé les façades et restitué la qualité de ce grand espace vide autour d'une fontaine. Sur un côté, une halle magnifique, en poutres de châtaignier parfaitement restaurée. En symétrie, en face, une église dont la façade est copiée sur les proportions de Santa Maria Novella à Florence. Dans la pensée du cardinal, Richelieu devait être un manifeste d'affirmation du catholicisme. A l'intérieur de l'édifice, on découvre à droite en entrant une invraisemblable photo de sainte Thérèse de Lisieux déguisée en Jeanne d'Arc au cachot pour un spectacle du Carmel, enchaînée sur la paille, cheveux lâchés, plutôt troublante. Sans rapport avec notre histoire, mais très surprenant.

A l’autre bout de la ville, la place Royale, rebaptisée place des Religieuses, n’a pas encore été réaménagée et se caractérise pour le moment par un méchant carrefour avec feu tricolore. Le pauvre Louis XIII peine décidément à être en majesté à Richelieu. Celui qui a eu toutes les visions, c’est l’autre. Aujourd’hui, on dirait du cardinal qu’il était un investisseur avisé, qui finira d’ailleurs plus riche que le roi. Egalement un collectionneur éclairé qui va accumuler l’une des plus belles collections d’art et de sculpture de son temps pour garnir son château.

Mais tout cela, à Richelieu, il faut l’imaginer. L’édifice a été victime de l’affreux Boutron. Et la collection a, comme souvent dans ces cas-là, été éparpillée la première, sachant que la Révolution n’a pas non plus aidé à garder le trésor intact.

Reconstitution. On peut voir aujourd'hui au premier étage de la mairie, qui abrite un petit musée, une reconstitution de l'immense galerie des Batailles que contenait le château, avec six des vingt toiles qui la constituaient. Dans l'Espace Richelieu est projetée une reconstitution en 3D de cette demeure, réalisée sur la base de l'inventaire incroyablement précis de chaque pièce, dressé par l'intendant de l'époque.

Mais le château n’est plus là. Alors, un petit matin gelé, on arpente le parc, le long de ses canaux d’où s’exhale une brume qui flotte dans les rayons du soleil bas. On tente d’imaginer comment le palais se posait dans ces perspectives si belles. Les ombres sont longues dans la lumière montante. Peut-être est-ce cette splendeur absente qui, finalement, rend Richelieu si poignant.

Pratique. Royal au coin du feu

Y aller

Par l’A10 sortie Sainte-Maure-de-Touraine. Ou par le train, gare de Chinon.

Y séjourner

L’hôtel du Puits doré est le seul à l’intérieur de l’enceinte de Richelieu.

Y manger

Au Fossé Saint-Ange. Pensez à réserver.

A l’auberge Le Cardinal.

Y prendre le thé

La Fleur de lys fait salon de thé et antiquaire à la fois. Atmosphère feu de bois et beaux meubles délicieuse.

A voir

L’Espace Richelieu.

Le musée Richelieu, dans la mairie.

A lire

Richelieu, histoire d'une cité idéale (1631-2011), de Marie-Pierre Terrien (Presses universitaires de Rennes).

Les Trois Mousquetaires, de Dumas.